Le Soudan : Un conflit dévastateur au cœur de l’Afrique

Malgré des dizaines de milliers de morts, des millions de déplacés et une famine imminente, la crise humanitaire au Soudan…

Au Soudan, la guerre entre l’armée et les FSR fait rage depuis 2023. El Fasher tombe, la famine menace, et la communauté internationale reste en retrait. Analyse d’un conflit oublié. X(ancien twitter )

Malgré des dizaines de milliers de morts, des millions de déplacés et une famine imminente, la crise humanitaire au Soudan reste largement ignorée par la communauté internationale. Un drame silencieux, nourri par des rivalités internes, des ingérences étrangères et une économie de guerre.

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Soudan, 31 octobre 2025 Dans les vastes étendues du Soudan, deuxième plus grand pays d’Afrique, une guerre fratricide oppose depuis avril 2023 l’armée régulière (SAF) aux Forces de soutien rapide (FSR), une milice paramilitaire. Ce conflit, qui a déjà coûté la vie à des dizaines de milliers de personnes et fait plus de 10 millions de déplacés, s’intensifie jour après jour. La ville stratégique d’El Fasher, dans le Darfour, est désormais plongée dans le chaos, théâtre de violences extrêmes et d’un exode massif. En effet, des milliers de civils fuient les combats, exposés à des attaques indiscriminées et à une famine imminente. Pourtant, cette tragédie, l’une des plus graves de notre époque, peine à mobiliser l’attention internationale.

Les racines d’une fracture historique

 

Le Soudan n’en est pas à son premier soulèvement. En 2019, une vague de contestation populaire a renversé Omar el-Béchir, au pouvoir depuis trois décennies. Mais, en octobre 2021, le général Abdel Fattah al-Burhan a mené un coup d’État militaire qui a brisé les espoirs de transition démocratique. Ce putsch a fracturé les alliances au sein des forces armées, opposant l’armée régulière aux FSR, dirigées par le général Mohamed Hamdan Dagalo, dit Hemedti, ancien chef des milices janjawid, accusé de crimes au Darfour dans les années 2000.

Ce qui n’était qu’une lutte de pouvoir s’est transformé en guerre ouverte en avril 2023, après des affrontements dans la capitale Khartoum. Aujourd’hui, le conflit entre dans sa troisième année avec des avancées territoriales alternées qui redessinent la carte du pays sans perspective de résolution.  Par ailleurs, des sources locales rapportent que l’armée soudanaise s’est retirée d’El Fasher, laissant la ville aux mains des FSR, au prix d’une escalade de violences et d’un déplacement massif de population.  Des sources locales rapportent que l’armée soudanaise s’est retirée d’El Fasher, laissant la ville aux mains des FSR, au prix d’une escalade de violences et d’un déplacement massif de population.

Une rivalité militaire aux conséquences civiles

 

D’un côté, l’armée soudanaise (SAF), fidèle à al-Burhan, contrôle le nord et l’est du pays, s’appuyant sur une hiérarchie classique et des alliances étatiques.  De l’autre, les FSR, issues des milices arabes du Darfour, dominent l’ouest et le Sahel, usant de tactiques asymétriques et d’une mobilité redoutable. Les deux camps sont accusés de graves exactions : bombardements indiscriminés pour l’armée, violences ciblées contre les populations non arabes pour les FSR.

À El Fasher, bastion historique des rebelles non arabes, des exécutions sommaires, des attaques contre des hôpitaux et des enlèvements de personnel médical ont marqué la chute de la ville. Le Réseau des médecins soudanais dénombre plus de 1 500 victimes civiles en quelques semaines. L’OMS a condamné l’attaque de l’hôpital de maternité saoudien, dernier centre partiellement fonctionnel de la région. Hemedti a promis une enquête, mais les doutes sur sa crédibilité demeurent.

Une guerre amplifiée par les influences extérieures

 

Le conflit soudanais est un véritable nœud géopolitique. Ce conflit interne est inextricablement lié à des dynamiques régionales et mondiales. Les Émirats arabes unis (EAU) soutiennent activement les FSR, leur fournissant armes, financements et logistique, notamment par le biais de Port Soudan. Des enquêtes ont tracé des livraisons d’équipements militaires émiratis sur les théâtres d’opérations, motivées par des intérêts économiques dans l’or et les minerais.

En face, l’Égypte appuie l’armée régulière, soucieuse de préserver sa sécurité frontalière et ses intérêts sur le Nil. La Russie, par le biais du groupe Wagner (désormais Africa Corps), et la Chine apportent un soutien logistique à Khartoum, en échange d’accès à des bases navales et de contrats miniers. La Turquie et l’Arabie saoudite, quant à eux, jouent des rôles plus ambigus, oscillant entre médiation et livraisons d’armement.

 

La France n’échappe pas à cette équation. Bien qu’indirectement impliquée, des critiques visent directement Paris pour ses exportations de composants militaires vers les EAU. On a d’ailleurs retrouvé certains de ces composants dans des armes que les FSR utilisent au Darfour. Amnesty International alerte sur ces flux indirects qui alimentent le cycle de violence. Ainsi, les puissances étrangères font du Soudan le terrain d’un bras de fer géopolitique, où la stabilité locale devient une variable négligée, sacrifiée au profit d’intérêts stratégiques et d’ambitions régionales.

Les richesses maudites : ressources au service de la guerre

 

Le Soudan regorge de richesses naturelles qui attirent les convoitises : des réserves d’or parmi les plus importantes d’Afrique, des gisements pétroliers dans le sud, et une production dominante de gomme arabique, ingrédient clé pour l’industrie agroalimentaire mondiale (représentant jusqu’à 80 % de l’offre globale avant le conflit). Ces ressources, qui pourraient financer le développement, sont aujourd’hui détournées pour alimenter la guerre.

Les FSR contrôlent une grande partie des mines d’or artisanales au Darfour, exportant illégalement vers l’étranger pour se procurer munitions et drones.  De même, le commerce de bétail et de gomme arabique, vital pour des millions de nomades, est également contrôlé par les groupes armés, perturbant les chaînes d’approvisionnement et aggravant la précarité économique. Cette « économie de guerre » prolonge les hostilités et transforme les ressources en armes plutôt qu’en levier pour la paix et le développement durable.

Une crise humanitaire d’une ampleur inédite

 

Plus de 10 millions de déplacés internes, 2 millions de réfugiés dans les pays voisins : le Soudan vit la plus grande crise de déplacement au monde. En avril 2025, les acteurs humanitaires ont déclaré une famine dans dix localités, notamment dans les camps comme Zamzam, où 400 000 personnes survivent dans des conditions extrêmes.

 

Près de 30 millions de Soudanais ont besoin d’une aide d’urgence, dont 15 millions d’enfants menacés par la malnutrition aiguë. Les belligérants ciblent les infrastructures médicales, les épidémies gagnent du terrain, et les bailleurs ne financent le Plan de réponse humanitaire 2025 qu’à hauteur de 27 % sur les 4,2 milliards de dollars requis.

 

Vers une mobilisation internationale ?

 

L’Union africaine et l’ONU enchaînent les condamnations, mais peinent à traduire leurs paroles en actes. Le 28 octobre, le Conseil de paix et de sécurité de l’UA a tenu une réunion d’urgence, appelant à un cessez-le-feu immédiat et à l’ouverture d’enquêtes sur les atrocités commises.

Les experts des Nations unies évoquent des violations graves du droit international et appellent à un embargo sur les armes. Mais malgré ces efforts, le silence médiatique persiste, éclipsé par d’autres crises mondiales.

Des retours spontanés sont observés dans certaines zones apaisées, signe d’un espoir fragile. Pour briser le cycle, une pression accrue sur les fournisseurs d’armes et un soutien renforcé à l’aide humanitaire s’imposent. Le Soudan ne doit pas rester le « conflit oublié » de notre temps.

 

Un silence qui tue

Alors que le Soudan s’enfonce dans une guerre sans fin, les chiffres s’accumulent, les témoignages s’effacent, et l’indifférence mondiale persiste. Derrière les lignes de front, ce sont des millions de vies suspendues à l’inaction, des enfants privés d’avenir, des familles déracinées, des hôpitaux réduits au silence. Le conflit soudanais n’est pas seulement une tragédie humanitaire : il est le miroir d’un déséquilibre global, où les logiques de puissance étouffent les appels à la paix. Briser ce silence, c’est reconnaître l’urgence d’agir. Car tant que le monde détournera le regard, le Soudan restera l’épicentre d’un drame que l’histoire jugera sévèrement.

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