Lomé, 4 décembre 2025 – Dans un palais de la Représentation nationale vibrant d’uniformes protocolaires et de tenues traditionnelles, Faure Essozimna Gnassingbé a livré le mardi 2 décembre son premier discours sur l’état de la nation sous l’ère de la Ve République. Devant un Congrès unifié – Assemblée nationale et Sénat réunis –, le nouveau Président du Conseil a peint les contours d’un régime parlementaire « moderne, apaisé et équilibré », vantant une « révolution de l’esprit public » qui placerait le Togo sur la voie d’une démocratie plus inclusive.
Toutefois, au-delà des applaudissements des élus et du corps diplomatique, les échos dans les ruelles de Lomé et sur les réseaux sociaux racontent une autre histoire : celle d’un peuple lassé, qui voit dans ces mots une litanie familière, loin des urgences quotidiennes.
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Discours: la vision institutionnelle de la Ve République
Sous la présidence de Prof. Komi Selom Klassou, l’événement a réuni une constellation d’autorités – ministres, généraux, chefs coutumiers – dans une atmosphère solennelle, presque théâtrale. En effet, conformément à l’article 50 de la Constitution révisée, Gnassingbé a déroulé sa vision : un Parlement transformé en « moteur d’impulsion démocratique », où majorité et opposition co-construiraient l’intérêt général.
« Cette évolution incarne notre ambition collective de renforcer la démocratie », a-t-il lancé, insistant sur un pouvoir « plus proche, plus équitable, plus redevable ». De plus, le Sénat, fraîchement installé, porterait la voix des territoires ; les conseils régionaux, élus pour la première fois, incarneraient la diversité locale. Une décentralisation promise comme remède aux inégalités persistantes, avec un État qui « ira vers ceux qui sont éloignés du centre ».

L’appel au consensus face aux antagonismes
Cependant, c’est dans l’appel à une « action collective » que le discours a pris une tournure plus introspective. Gnassingbé a tendu la main à l’opposition, la qualifiant de « vigie utile » et de « force de proposition indispensable ». « Car, la démocratie ne s’accommode pas du monologue ; elle se nourrit du débat », a-t-il martelé, prônant une culture politique fondée sur le « dialogue et le consensus », loin des « antagonismes habituels ».
Un plaidoyer pour des débats « sans déchirures » et des critiques « sans dénigrement », dans un pays où les clivages partisans ont souvent viré à l’affrontement. Le Président du Conseil a clos sur un « pacte de loyauté » : solidarité, rigueur, et une République « d’équilibre et d’avenir ». Prof. Klassou, en réagissant, a salué un « bréviaire pour le développement durable », soulignant l’adhésion du Congrès à cette « vision pragmatique ».

Discours : le fossé entre le Palais et la Rue
Pourtant, Cette harmonie institutionnelle cache un fossé béant avec la réalité des rues. Tandis que les médias officiels – ATOP ou République Togolaise – relaient un discours « inspirant » autour de dix chantiers prioritaires (éducation, santé, emploi des jeunes, transition écologique), l’opposition et la société civile dénoncent une façade.
Adoptée sans référendum en mai 2025, la réforme de la Ve République reste un os de discorde : pour ses détracteurs, elle n’est qu’un habillage destiné à prolonger le règne des Gnassingbé, au pouvoir depuis 1967. D’où l’appel à restaurer l’ancienne Constitution, qui garantissait l’élection présidentielle au suffrage universel direct.
« C’est le même discours de mensonge depuis 2005 », lâche un internaute sur X, accusant Faure de viser un maintien au pouvoir à vie. La Dynamique pour la Majorité du Peuple (DMP) réclame la vérité des urnes, tandis que le Mouvement du 6 juin (M66) et des figures comme l’ex-ministre Marguerite Gnakadè appellent à une mobilisation accrue. Entre façade institutionnelle et colère populaire, le fossé ne cesse de s’élargir.

Scepticisme face aux promesses concrètes
Sur les réseaux, les réactions fusent. « Intox politique », tweet un activiste, dénonçant l’hypocrisie d’un appel au consensus alors que les manifestations de juin et d’août ont été réprimées par la police. Dans les rues de Lomé, pancartes brandies et slogans scandés rappellent que la contestation reste vive. L’Alliance nationale pour le changement (ANC) et les Forces démocratiques pour la République (FDR) parlent d’une « démocratie de façade », exigeant la libération des détenus politiques et le retour à l’ancienne Constitution.
Les promesses concrètes – grâces présidentielles pour détenus vulnérables, modernisation de la justice, inclusion des femmes et des jeunes – peinent à convaincre. « Une République forte n’abandonne personne », assure Gnassingbé. Mais pour beaucoup, ces annonces relèvent du déjà-vu, sans impact tangible sur l’accès à l’eau, à l’électricité ou à l’emploi.
Le discours, défendant une réforme « sans rupture », ignore les « vives critiques » de l’opposition. Et malgré les mises en garde gouvernementales contre toute « déstabilisation », les appels à manifester persistent. Entre promesses répétées et contestation persistante, le pays reste suspendu à une confrontation annoncée.
Le test de la « République d’avenir »
En fin de compte, ce discours marque un jalon : le Togo entre officiellement dans son ère parlementaire, avec Gnassingbé aux manettes d’un exécutif reconfiguré. Cependant, pour hisser cette « République d’avenir » au-delà des mots, il faudra combler l’écart entre le palais et la place publique. Les prochains mois, avec l’installation du Sénat et les élections régionales, diront si le « pacte de confiance » tient la route – ou si la rue, une fois de plus, dicte le tempo du changement.
