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Congrès Panafricain : Siphiwe Ka Baleka exige la libération des prisonniers politiques

Lomé, 10 décembre 2025 — Le 9ᵉ Congrès panafricain, censé incarner l’unité et la renaissance du continent, a basculé mardi…

Le 9e Congrès panafricain à Lomé secoué par l'activiste Siphiwe Ka Baleka Bel El. Dénonçant l'autoritarisme togolais, il réclame une amnistie Robert Dussey

Lomé, 10 décembre 2025 — Le 9ᵉ Congrès panafricain, censé incarner l’unité et la renaissance du continent, a basculé mardi dans une atmosphère de tension politique rarement observée dans ce type de grand-messe diplomatique. À Lomé, la voix de l’activiste  Bissau-Guinéen Siphiwe Ka Baleka Bel El, figure connue des milieux panafricains radicaux, a brisé le vernis consensuel, rappelant que derrière les discours officiels sur l’avenir de l’Afrique se cachent des réalités politiques douloureuses.

 

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Siphiwe Ka Baleka : « Le congrès se tient sur le dos du peuple togolais »

 

Sous les regards médusés de l’assistance, Siphiwe Ka Baleka, figure connue des milieux panafricains radicaux, a pris le micro pour lancer une charge directe :

« Comment peut-on parler de renaissance africaine quand le pays qui nous accueille maintient encore des dizaines de prisonniers politiques dans ses geôles ? »

Sans détour, il a poursuivi :

« Ce congrès est organisé sur le dos du peuple togolais. Beaucoup de ses fils et filles sont en exil, d’autres croupissent en prison pour avoir simplement exprimé une opinion différente, et certains subissent encore des traitements inhumains. »

En dénonçant la situation des prisonniers politiques au Togo, l’orateur a mis en lumière une contradiction fondamentale. Sa charge n’était pas seulement dirigée contre Lomé, mais également contre une tendance plus large : celle d’un panafricanisme institutionnel qui peine à se confronter aux pratiques autoritaires persistantes sur le continent.

 

Le rappel du « crime originel » : l’ombre de Sylvanus Olympio

 

Siphiwe Ka Baleka a replacé son propos dans une perspective historique, rappelant l’assassinat du premier président togolais, Sylvanus Olympio, le 13 janvier 1963. Présenté comme l’un des pères fondateurs du panafricanisme moderne aux côtés de Kwame Nkrumah et Patrice Lumumba, Olympio incarne, selon lui, « le crime originel » qui aurait détourné le Togo de la voie de la dignité et de la justice.

En convoquant cette mémoire, il visait à inscrire la critique actuelle dans une continuité historique, celle d’un pays qui, selon lui, n’a jamais retrouvé le chemin de la dignité. Ainsi, c’est toute la question de la légitimité des États africains post-indépendance qui était posée en filigrane.

 

Siphiwe Ka Baleka interpelle directement le ministre Dussey

 

Fixant le ministre togolais des Affaires étrangères, Robert Dussey, qui présidait la séance, l’activiste a formulé une demande solennelle :

« Je demande humblement, ici, devant vous tous, que le Togo prenne l’initiative, durant ce congrès même, d’une résolution forte pour une amnistie générale et immédiate de tous les prisonniers politiques. Ce serait le plus beau cadeau que Lomé pourrait offrir à l’Afrique et à son propre peuple. »

Dans un climat déjà électrique, Siphiwe Ka Baleka a ajouté, non sans inquiétude :

« Franchement, je me demande si je vais être ciblé après avoir dit cela. Est-ce cela, la renaissance africaine que nous célébrons ? Un panafricanisme où l’on doit encore parler la peur au ventre ? »

L’interpellation directe au ministre, avec la demande d’une amnistie générale, a en effet donné à ce moment une portée symbolique forte.

 

Malaise et applaudissements

 

La salle a réagi en ordre dispersé : applaudissements nourris d’un côté, silence figé de l’autre. Dans un événement habituellement verrouillé par un protocole strict, cette prise de parole a brisé le consensus.

Élargissant son propos, Siphiwe Ka Baleka a cité le Cameroun et sa propre Guinée-Bissau, où « des dizaines d’opposants sont traqués, emprisonnés ou forcés à l’exil ». Et de conclure :

« Le vrai panafricanisme ne peut pas être une simple vitrine diplomatique. Il doit commencer par la libération de tous ceux qui luttent pour la dignité de leurs peuples. »

Ce faisant, l’épisode s’est transformé en un acte de contestation globale contre les régimes autoritaires africains. D’ailleurs, la réaction mitigée de la salle révèle le malaise : le Congrès panafricain, souvent perçu comme une vitrine diplomatique, se retrouve confronté à sa propre fragilité. Peut-il être un espace de débat authentique ou reste-t-il un instrument de légitimation pour les pouvoirs en place ? L’intervention de l’activiste a mis à nu cette tension.

 

Un congrès déjà sous tension

 

Il faut rappeler que le Togo traverse une période de crispation politique : réforme constitutionnelle contestée en 2024, arrestations de militants, exil de figures de l’opposition. Dans ce contexte, l’organisation du Congrès apparaît pour beaucoup comme une opération de communication internationale. L’activiste a donc touché un nerf sensible : la dissonance entre l’image que le régime veut projeter à l’extérieur et la réalité vécue à l’intérieur.

À la sortie de la salle, certains délégués de la société civile ouest-africaine se réjouissaient : « Enfin quelqu’un a osé dire tout haut ce que beaucoup pensaient tout bas. » D’autres, plus prudents, craignaient que cette sortie ne serve de prétexte à un durcissement du régime.

 

Une interpellation qui restera dans les annales

 

Pour l’heure, ni le ministre Robert Dussey ni la présidence togolaise n’ont réagi. Un haut responsable du comité d’organisation s’est limité à rappeler que « toutes les voix sont les bienvenues dans l’esprit du panafricanisme », tout en soulignant que « les questions de politique intérieure relèvent de la souveraineté nationale ».

Que le Togo réponde ou non à cette demande d’amnistie, l’épisode restera comme un moment charnière du congrès. Il a rappelé que le panafricanisme ne peut se réduire à des slogans ou à des cérémonies protocolaires. Au contraire, il doit se confronter aux réalités politiques, aux prisons, aux exils, aux silences imposés. En ce sens, Siphiwe Ka Baleka a réussi à transformer une tribune officielle en espace de vérité, au risque de sa propre sécurité.

Les travaux du 9ᵉ Congrès panafricain se poursuivent jusqu’au vendredi 12 décembre. Reste à savoir si l’appel à une amnistie générale trouvera un écho dans les résolutions finales. Une certitude demeure : Siphiwe Ka Baleka Bel El a déjà imprimé sa marque sur cette grand-messe continentale.

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