Lomé, le 8 décembre 2025 – Au Palais des congrès de Lomé, les drapeaux africains flottent fièrement ce lundi matin, tandis que des centaines de délégués affluent pour l’inauguration du 9e Congrès Panafricain, un événement historique. Prévu jusqu’au 12 décembre, ce rassemblement réunit chefs d’État, intellectuels, activistes et représentants de la diaspora autour d’une réflexion ambitieuse sur l’avenir du continent. Pourtant, dans les rues environnantes, l’ambiance est loin d’être festive : une présence policière massive encadre la capitale togolaise, car un appel à la mobilisation populaire menace de perturber les débats.

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9e Congrès Panafricain : l’ambition d’un panafricanisme renouvelé
Organisé conjointement par le gouvernement togolais et l’Union africaine, ce sommet marque le retour d’une tradition séculaire, huit ans après l’édition d’Accra au Ghana. Lancé en 1900 à Londres pour dénoncer les ravages de la colonisation, le mouvement des congrès panafricains a depuis évolué pour embrasser des enjeux contemporains, comme l’égalité des droits et la solidarité transatlantique. Cette neuvième mouture, préparée depuis mai 2023 via six conférences régionales – de Bamako à Alger en passant par des hubs diasporiques en Europe et aux États-Unis –, vise à repositionner l’Afrique comme un acteur pivot sur la scène mondiale.
Au cœur des discussions, on trouve un programme thématique audacieux, intitulé « Renouveau du panafricanisme et rôle de l’Afrique dans la réforme des institutions multilatérales : mobiliser les ressources et se réinventer pour agir ». Les panels exploreront la restitution des artefacts pillés lors de l’ère coloniale, les réparations pour les crimes historiques contre les peuples noirs, et l’intégration accrue de la diaspora – reconnue comme la « sixième région » de l’Afrique par l’UA.
Des voix influentes, comme celle de Nathalie Yamb, militante suisso-camerounaise et conseillère diplomatique nigérienne, ou Samia Nkrumah, fille du fondateur ghanéen Kwame Nkrumah, promettent des échanges vifs sur l’autonomie économique et culturelle. Ainsi, à l’issue des travaux, une Déclaration de Lomé et un « livre blanc » devraient tracer les contours d’une feuille de route collective, alignée sur la Décennie des racines africaines et de la diaspora (2021-2031).

Ouverture officielle du 9e Congrès Panafricain : Plaidoyer pour un « panafricanisme pragmatique »
Le président du Conseil togolais Faure Essozimna Gnassingbé a présidé l’ouverture officielle, soulignant un « panafricanisme pragmatique » qui unirait peuples, marchés et savoirs. Le ministre des Affaires étrangères, Robert Dussey, a ensuite enchaîné avec un plaidoyer pour une Afrique « jeune, forte et déterminée à ne plus être modelée par d’autres ». Parmi les premiers intervenants, on a salué des artistes comme ceux du collectif Belabélo pour leur rôle dans la promotion d’une identité culturelle unifiée, tandis que des juristes et économistes plaidaient pour une réforme des instances comme l’ONU ou la Banque mondiale, où le continent reste sous-représenté.

La réalité du terrain : une ville sous quadrillage
Cependant, ce tableau idyllique cache une réalité plus âpre. Dès le week-end, des patrouilles motorisées et des barrages aux carrefours stratégiques ont quadrillé la ville, transformant Lomé en un bastion fortifié. Ces mesures, justifiées par le gouvernement comme un rempart contre les « troubles potentiels », répondent directement à un appel lancé par le Mouvement du 6 Juin (M66), un collectif citoyen né en ligne il y a six mois. Ce dernier dénonce l’organisation d’un tel sommet dans un contexte de « dérive autoritaire », pointant du doigt la pauvreté endémique, l’inflation galopante et les restrictions aux libertés publiques. « Comment célébrer l’émancipation africaine dans un pays où le pouvoir se perpétue par la force, au mépris des urnes ? », interroge un de ses soutiens sur les réseaux, évoquant la réforme constitutionnelle récente qui aurait verrouillé une longévité au sommet contestée par l’opposition.

Un boycott symbolique contre la longévité au pouvoir
Le M66, sans hiérarchie formelle mais porté par une mobilisation numérique et des appuis diasporiques, avait fixé le 8 décembre comme date symbolique pour une « grande marche » visant à marquer les 20 ans de règne de Faure Gnassingbé. Des pétitions en ligne, comme celle de TogoDebout, appellent même au boycott total de l’événement, accusant les participants de « blanchir » un régime soupçonné de réprimer les voix dissidentes. D’ailleurs, des figures panafricanistes radicales, tel Kemi Seba, ont publiquement décliné l’invitation, qualifiant le congrès de « mascarade opportuniste ». D’autres, tel l’historien Amzat Boukari-Yabara, dénoncent un « révisionnisme historique » qui détournerait l’héritage anticolonial pour des fins diplomatiques.
9e Congrès Panafricain : l’Afrique face à ses propres contradictions
Malgré ces remous, les autorités togolaises insistent sur la sérénité des lieux : « Lomé s’éveille librement et sereinement », ironise un observateur pro-gouvernemental , moquant les « clowns au nez rouge » des opposants. Jusqu’à présent, aucun incident majeur n’a été signalé, mais la vigilance reste de mise. Ce congrès, reporté d’octobre 2024 pour affiner les préparatifs, pourrait ainsi devenir un miroir des fractures internes au continent : entre un idéal d’unité et les luttes pour la démocratie locale, l’Afrique se cherche un chemin incertain. Reste à voir si la Déclaration finale portera l’élan d’une renaissance, ou les échos d’un débat avorté par les ombres de la rue.
