Robert Dussey à Kinshasa : une médiation togolaise pour apaiser l’Est congolais
Dans la touffeur de Kinshasa, un élan d’espoir s’est dessiné le 7 mai dernier. Robert Dussey, Ministre togolais des Affaires étrangères, a foulé le sol de la Cité de l’Union africaine pour s’entretenir avec le Président Félix Tshisekedi, porteur d’un message de paix de son Président, Faure Gnassingbé. Désigné médiateur par l’Union africaine (UA) le 13 avril dernier, Gnassingbé a pris les rênes d’une mission délicate : désamorcer la crise sécuritaire qui embrase l’Est de la République démocratique du Congo (RDC), où les violences du groupe M23, soutenu par le Rwanda, ont plongé des millions de Congolais dans l’exode et la peur. À l’heure où les initiatives régionales peinent, cette médiation togolaise, héritière des Processus de Luanda et de Nairobi, incarne une lueur d’espérance pour une région déchirée.
Face à l’hécatombe dans l’Est de la RDC : les objectifs cruciaux de la mission de paix togolaise
L’Est congolais, riche en minerais, mais ravagé par des décennies de conflits, est un théâtre de tragédies. Depuis janvier 2025, l’offensive fulgurante du M23, accusé par Kinshasa, l’ONU et plusieurs capitales occidentales de bénéficier du soutien militaire rwandais, a bouleversé la région. La prise de Goma, capitale du Nord-Kivu, le 27 janvier, suivie de celle de Bukavu et de Walikale, a précipité plus de 7,3 millions de personnes dans la fuite, dont 780 000 entre novembre 2024 et janvier 2025, selon l’UNHCR.
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Environ 7 000 morts et des infrastructures dévastées témoignent de l’ampleur du désastre, le plus grave depuis la deuxième guerre du Congo (1998-2003). Face à cette hécatombe, les efforts de paix antérieurs, notamment le Processus de Luanda piloté par l’Angola, se sont essoufflés, João Lourenço cédant sa place pour se consacrer à la présidence de l’UA. C’est dans ce contexte que Faure Gnassingbé, fort de l’expérience togolaise en médiation régionale, a accepté de reprendre le flambeau.
Robert Dussey, son émissaire, a exposé à Tshisekedi les avancées accomplies depuis avril. « J’ai rendu compte des démarches entreprises pour ramener la paix », a-t-il déclaré, ajoutant que Lomé s’est engagé à poursuivre les discussions avec toutes les parties, y compris le Rwanda et le M23. Cette mission, qui fusionne les cadres de Luanda et de Nairobi, vise à instaurer un cessez-le-feu durable, à faciliter le retrait des forces étrangères – notamment rwandaises, estimées à 12 000 hommes en mars 2025 par l’ONU – et à ouvrir un dialogue inclusif.
Un ballet diplomatique audacieux face aux blocages : accusations, dialogue et obstacles à la paix
La visite de Dussey s’inscrit dans une séquence diplomatique intense. Le 18 mars, par exemple, Tshisekedi et le Président rwandais Paul Kagame s’étaient rencontrés à Doha, sous l’égide de l’émir du Qatar, appelant à un « cessez-le-feu immédiat ». Le 25 avril, à Washington, les Ministres congolais et rwandais, Thérèse Kayikwamba Wagner et Olivier Nduhungirehe, ont signé une déclaration de principes, s’engageant à respecter la souveraineté mutuelle et à élaborer un accord de paix. Pourtant, les combats persistent, le M23 rejetant les appels à la trêve, arguant de griefs non résolus.
La médiation togolaise, soutenue par l’UA, ambitionne de surmonter ces écueils en impliquant des acteurs clés, dont cinq anciens chefs d’État désignés en février par l’EAC et la SADC : Olusegun Obasanjo, Uhuru Kenyatta, Kgalema Motlanthe, Catherine Samba-Panza et Sahle-Work Zewde. Dussey, connu pour sa diplomatie habile dans des crises ouest-africaines, a insisté sur la nécessité d’un dialogue inclusif, sans préciser toutefois si Kinshasa accepterait de négocier directement avec le M23, une exigence rwandaise que Tshisekedi a jusqu’ici rejetée.
Pour Kinshasa, la RDC accuse Kigali d’exploiter les ressources minières de l’Est, notamment le coltan, dont le M23 tire, selon l’ONU, 800 000 dollars par mois. De son côté, le Rwanda justifie sa présence par la menace des FDLR, un groupe hutu lié au Génocide de 1994, que Kigali accuse Kinshasa de tolérer.
Un défi humanitaire et géopolitique à Kinshasa : 27 millions de vies en détresse et les grands lacs sous haute tension
Au-delà des tractations diplomatiques, la crise congolaise est une catastrophe humanitaire. Avec 27 millions de personnes nécessitant une aide urgente, selon l’OCHA, et des épidémies comme le mpox aggravant la situation, l’urgence est criante. Les hôpitaux de Goma, bombardés en janvier, manquent d’électricité, et les défenseurs des droits humains sont menacés par le M23, rapporte Bintou Keita, cheffe de la MONUSCO. La fermeture de l’aéroport de Goma, en outre, entrave l’acheminement de l’aide, tandis que 69 000 réfugiés ont fui vers le Burundi depuis janvier.
Sur le plan géopolitique, la crise menace la stabilité des Grands Lacs. Le Burundi, qui a retiré 9 000 de ses 12 000 soldats de l’Est congolais en février, accuse le Rwanda de déstabilisation, tandis que l’Uganda, également impliqué par le passé, intensifie ses déploiements en Ituri. Malgré la résolution unanime du Conseil de sécurité de l’ONU, le 21 février, condamnant le soutien rwandais au M23, l’escalade a persisté, accentuant l’urgence d’une médiation efficace.