Lomé, 5 mai 2025 – Dans les ruelles poussiéreuses d’Akassimé, à Lomé, l’opposition togolaise s’est époumonée ce dimanche, criant à la « dérive monarchique » et au « coup d’État anticonstitutionnel ». Réunie sous la bannière de l’Alliance nationale pour le changement (ANC), des Forces démocratiques pour la République (FDR) et de Novation Internationale, la coalition a dénoncé, avec une ferveur quasi théâtrale, la transition du Togo vers une Ve République taillée sur mesure pour Faure Gnassingbé. Mais dans ce pays où le pouvoir s’écrit en lettres dynastiques depuis 1967, les protestations, aussi vibrantes soient-elles, résonnent comme un écho dans une cathédrale déserte. Pendant ce temps, Gnassingbé, désormais président du Conseil des ministres, ajuste son sceptre, tandis que Jean-Lucien Savi de Tové, 86 ans, endosse le costume d’un président décoratif, prêt à couper les rubans que le véritable maître du jeu lui tendra.
L’opposition : une mascarade en deux actes
Le 3 mai, l’hémicycle du pavillon annexe de l’Assemblée nationale a été le théâtre d’une pièce en deux actes, aussi prévisible qu’un vaudeville usé. Premier acte : Faure Gnassingbé, porté par son parti UNIR, qui truste 108 des 113 sièges parlementaires, s’arroge le titre de président du Conseil des ministres, un poste sans limite de mandat, où convergent tous les leviers du pouvoir exécutif. Deuxième acte : Jean-Lucien Savi de Tové, vétéran de l’opposition reconverti en figurant docile, est propulsé président de la République, un rôle vidé de substance, simple vernis honorifique pour une Constitution adoptée en catimini le 25 mars 2024. « Une farce parlementaire », s’étrangle Jean-Pierre Fabre, leader de l’ANC, qui voit dans cette mise en scène l’enterrement définitif du suffrage universel. Et pour cause : le peuple, jadis convié aux urnes, n’a plus voix au chapitre, relégué au rang de spectateur d’une démocratie en toc.
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L’article 150, un talisman usé
Face à ce qu’elle qualifie de « haute trahison », l’opposition brandit l’article 150 de la Constitution de 1992, une relique qui enjoint à résister contre toute prise de pouvoir inconstitutionnelle. « Le peuple togolais doit se lever ! » clament les orateurs d’Akassimé, invoquant syndicats, jeunesse et diaspora pour une mobilisation nationale. Mais ce cri, aussi ardent soit-il, peine à franchir les murs de la répression. Depuis 2022, les manifestations sont interdites, et les tentatives de rassemblement, comme celles d’avril 2024, se sont soldées par des gaz lacrymogènes et des arrestations musclées. La police et l’armée, fidèles au régime et dominées par l’ethnie Kabye de Gnassingbé, veillent au grain, tandis que la Cour constitutionnelle, docile, entérine chaque décret du pouvoir. Dans ce contexte, l’appel à la résistance ressemble moins à un plan qu’à une incantation, un vœu pieux lancé dans l’espoir d’un miracle.
Une communauté internationale qui détourne le regard
L’opposition, dans un élan désespéré, conjure la communauté internationale de condamner ce « crime contre la nation », espérant rééditer le sursaut de 2005, lorsque la CEDEAO et l’Union africaine avaient forcé Gnassingbé à lâcher du lest après une succession controversée. Mais les temps ont changé. En avril 2024, une mission de la CEDEAO s’est contentée d’une visite de courtoisie à Lomé, évitant soigneusement de critiquer la réforme constitutionnelle. La France, accusée par certains de parrainer le régime, préfère les poignées de main discrètes à l’Élysée aux remontrances publiques. Quant à l’Union africaine, elle semble trop occupée à nommer Gnassingbé médiateur dans le conflit congolais pour lui reprocher ses acrobaties constitutionnelles. Dans ce silence assourdissant, l’opposition togolaise découvre, à ses dépens, que le monde a d’autres chats à fouetter.
Une dynastie inoxydable
Au cœur de l’indignation, une vérité cruelle : la famille Gnassingbé, au pouvoir depuis le coup d’État de 1967, a perfectionné l’art de la pérennité. Faure, successeur de son père Eyadéma, navigue avec aisance dans les eaux troubles de la politique togolaise, fort d’un parlement à ses ordres et d’une économie – dopée par le phosphate et le port de Lomé – qui lui assure des alliés précieux. En plus, la nomination de Savi de Tové, jadis opposant farouche, illustre cette capacité à coopter les voix dissidentes, transformant les rebelles d’hier en courtisans d’aujourd’hui. « Cette Ve République n’est qu’une monarchie grimée », raille un militant de la FDR, qui voit dans chaque réforme un nouveau verrou posé sur l’espoir d’alternance.
L’opposition : un cri qui s’éteint
Le rassemblement d’Akassimé, vibrant de colère et de slogans, n’a pourtant pas fait trembler les fondations du palais présidentiel. L’opposition, divisée et affaiblie par des décennies de répression, peine à transformer ses discours en actes. Les Togolais, lassés par des années de promesses brisées et de violences, hésitent à descendre dans la rue, conscients que le prix de la révolte – sang, arrestations, exil – est souvent plus lourd que l’espoir qu’elle porte. Gnassingbé, lui, savoure son triomphe, drapé dans l’illusion d’un « renouveau démocratique » qu’il vantait dans ses vœux de janvier 2025. Pendant que l’opposition s’égosille, le maître de Lomé, tel un chef d’orchestre imperturbable, dirige une symphonie où les notes de la contestation s’évanouissent dans l’indifférence. Le Togo, sous son regard placide, s’enfonce un peu plus dans l’ombre d’un trône éternel.