Aamron bâillonné :le rappeur arrêté pour ses critiques contre le régime
Dans la moiteur oppressante de Lomé, le 26 mai 2025 au environ de 21h , le régime togolais a une fois de plus brandi son bâton répressif avec une précision presque comique, si l’affaire n’était si tragique. Le rappeur Aamron, de son vrai nom Tchalla Essowe, dont les couplets acérés fustigeaient la gouvernance chaotique et les abus du pouvoir, a été cueilli à son domicile par une escouade de gendarmes dans une mise en scène digne d’un polar de série B. Son crime est d’ avoir osé, par ses vers enfiévrés et ses publications sur les réseaux sociaux, appeler le peuple togolais à secouer le joug d’un régime qui, depuis 58 ans, s’accroche au pouvoir comme une bernique à son rocher. Une nouvelle péripétie dans la longue litanie des arrestations pour des peccadilles, où la liberté d’expression semble être un luxe que le Togo ne peut s’offrir.
Aamron : une arrestation spectaculaire pour un « Cri du cœur » artistique
L’opération, décrite par des témoins comme un véritable « kidnapping musclé », a vu une cinquantaine de gendarmes déferler sur le domicile de l’artiste, saccageant ses biens et brutalisant sa mère, comme pour ajouter une touche de cruauté à ce mélodrame autoritaire. Aamron, devenu une figure montante grâce à ses chansons dénonçant la misère sociale et l’immobilisme politique, avait acquis une popularité fulgurante sur les plateformes numériques. Ses appels à la mobilisation citoyenne, portés par des rimes incisives et une verve indomptable, ont visiblement heurté la sensibilité fragile des caciques du pouvoir. Plutôt que de répondre aux griefs — chômage endémique, inégalités criantes, érosion des libertés —, le régime a préféré, avec une ironie mordante, museler une voix qui ne faisait que traduire l’exaspération d’une jeunesse à bout de souffle.
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Cette arrestation, loin d’être un fait isolé, s’inscrit dans une tradition bien huilée à Lomé. En janvier 2025, le cyberactiviste Sitsopé Sokpor, alias « Affectio », avait, lui aussi, été enlevé pour avoir osé critiquer la détresse socio-économique dans un poème . En 2020, l’opposante Brigitte Kafui Adjamagbo-Johnson fut arrêtée pour des documents prétendument « incriminants », qui se révélèrent n’être qu’un prétexte pour la réduire au silence. Même les imams, comme Alpha Alhassane à Sokodé en 2017, n’ont pas échappé à cette manie de l’incarcération pour des paroles jugées trop audacieuses. À chaque fois, le motif invoqué – « atteinte à la sécurité nationale » ou « incitation à la révolte » – semble sorti d’un manuel poussiéreux de la censure, où toute critique, même poétique, devient une menace existentielle pour le régime de Faure Gnassingbé.
Une dynastie au pouvoir : quand la dissonance devient un crime.
Depuis l’accession de Faure Gnassingbé au pouvoir en 2005, succédant à son père Eyadéma qui régna 38 ans, le Togo vit sous le poids d’une dynastie qui tolère mal la contradiction. La réforme constitutionnelle de 2024, qualifiée de « coup d’État institutionnel » par l’opposition, a aboli les élections présidentielles directes, conférant à Gnassingbé le titre de « président du Conseil des ministres » sans limite de mandat. Ce tour de passe-passe, dénoncé par des coalitions comme la Dynamique pour la majorité du peuple (DMP), a renforcé l’emprise du parti UNIR, tout en reléguant les aspirations démocratiques au rang de chimères. Dans ce climat, les artistes comme Aamron, dont les chansons se muent en hymnes pour une jeunesse asphyxiée, dérangent activement l’ordre établi par leurs prises de parole.
L’ironie atteint son comble lorsque l’on considère la rhétorique officielle. Dans son message du Nouvel An 2025, Gnassingbé lui-même reconnaissait les « défis socio-économiques » du pays. Pourtant, lorsqu’un rappeur dénonce cette réalité avec sa seule verve, les autorités l’enferment dans une geôle à la destination inconnue, comme si rimer la vérité constituait un crime plus grave que l’inaction face à la misère. Sur les réseaux sociaux, où Aamron galvanise les consciences avec le hashtag #TogoDebout, un champ de bataille s’est formé : les autorités scrutent chaque publication, pèsent chaque mot et traquent chaque voix dissonante avec une ferveur quasi religieuse.
Aamron : la jeunesse togolaise, indomptable face à la répression
L’arrestation d’Aamron, loin de calmer les esprits, a attisé la colère d’une population déjà à cran. Sur les réseaux sociaux, des figures comme Farida Nabourema, exilée aux États-Unis, et des activistes locaux comme Fovi Katakou ont dénoncé cette énième atteinte à la liberté d’expression. « Le régime est aux abois », écrivait l’un d’eux, soulignant l’acharnement contre une jeunesse qui, malgré la répression, refuse de se taire. Les hashtags #Avulete et #FaureMustGo fleurissent, portés par une génération qui, à l’image d’Aamron, transforme la rage en art et la révolte en mélodie.
Dans ce Togo où le pouvoir semble confondre un micro avec une arme de destruction massive, l’arrestation d’un rappeur pour ses paroles illustre une vérité cruelle : le régime craint davantage les rimes d’un artiste que les maux qu’il dénonce. En emprisonnant Aamron, les autorités espéraient peut-être étouffer un cri ; elles n’ont fait qu’amplifier un chœur. Car dans les ruelles de Lomé, sur les ondes clandestines et les écrans des smartphones, la voix de la jeunesse togolaise continue de résonner, indomptable, prête à réécrire l’histoire, un couplet à la fois.