Au Cameroun , face à une réélection jugée illégitime, des milliers de jeunes descendent dans la rue pour réclamer transparence électorale, alternance politique et respect de la volonté populaire. Entre répression et colère, la contestation s’organise, portée par une jeunesse qui refuse de voir son avenir confisqué.
LA SUITE APRÈS LA PUBLICITÉ
Yaoundé, 27 octobre 2025 – À peine la Cour constitutionnelle a-t-elle officialisé la réélection de Paul Biya pour un huitième mandat que les rues du Cameroun se sont embrasées. Avec 53,66 % des suffrages exprimés, le président sortant — doyen mondial des chefs d’État en exercice — prolonge son règne entamé il y a 42 ans. Mais cette annonce, attendue comme un couperet, a déclenché une vague de colère : manifestations violemment réprimées sur toute l’étendue du territoire camerounais et des accusations de fraude qui résonnent jusqu’aux chancelleries internationales.

Cameroun : une victoire contestée, une opposition en ébullition
L’annonce est tombée ce lundi matin, dans l’enceinte feutrée du Palais des Congrès de Yaoundé, contrastant avec la tension qui secoue le pays. Paul Biya, absent de la campagne pour raisons de santé, l’emporte devant Issa Tchiroma Bakary, ancien ministre et principal challenger, crédité de 35,19 % des voix. D’ailleurs, ce dernier dénonce une « mascarade électorale » et affirme détenir des preuves d’un décompte qui lui aurait donné 54,8 % des suffrages. Ses recours, déposés auprès de la Cour suprême, ont été rejetés en bloc, attisant davantage la colère populaire.
Sur les réseaux sociaux, les images affluent : gaz lacrymogènes dans les rues de Douala, affrontements à Garoua, barricades improvisées, pneus en feu. Le bilan provisoire fait état de quatre civils tués par balles, selon des sources hospitalières et des ONG locales. Des dizaines d’arrestations ont été recensées.
« Nous ne tolérerons pas ce hold-up sur la volonté populaire« , martèle un porte-parole de la coalition d’opposition. Maurice Kamto, leader du MRC, appelle à une « grève générale illimitée ».

Un scrutin sous tension, dans un pays fracturé
Cette élection, la septième sous l’ère Biya, s’est déroulée dans un climat délétère. La crise anglophone, toujours active depuis 2016, a empêché des millions d’électeurs de voter librement. Par ailleurs, l’opposition, fragmentée en 14 candidatures, a vu plusieurs figures pro-démocratie interdites de se présenter. Les observateurs internationaux ont relevé de nombreux dysfonctionnements : bureaux de vote fermés prématurément, listes électorales gonflées, participation officielle de 52 % jugée peu crédible.
Les manifestations, latentes depuis le 13 octobre, ont explosé après l’annonce de la victoire de Biya. À Douala, des jeunes ont brandi des pancartes « Biya dehors ! » et « Démocratie ou rien », avant d’être dispersés par des canons à eau et des grenades assourdissantes. Sur X (ex-Twitter), des vidéos amateurs montrent aussi des charges policières brutales.
« À 92 ans, il ne peut plus gouverner ; c’est un régime fantôme qui nous étouffe« , témoigne une manifestante jointe par téléphone, la voix tremblante.

Réactions internationales et inquiétudes régionales
La communauté internationale réagit avec prudence. L’Union africaine salue « le bon déroulement global » tout en appelant au dialogue. L’Union européenne et les États-Unis dénoncent des « irrégularités substantielles » et exigent une enquête indépendante. Paris, allié historique de Yaoundé, se contente d’un communiqué laconique : « La France respecte le choix du peuple camerounais. »
Mais sur le terrain, les tensions pourraient s’étendre. La crise anglophone, déjà responsable de plus de 6 000 morts, menace de s’embraser si les troubles gagnent également les régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest. Le régime, lui, durcit le ton : censure des médias, ralentissement d’internet dans les zones sensibles, et discours officiel minimisant les violences.
Cameroun : un pays à bout de souffle
Ce bras de fer post-électoral dépasse la simple querelle de chiffres. Il cristallise des décennies de frustrations : pauvreté persistante, corruption endémique, et un président perçu comme un vestige de la guerre froide. Biya, au pouvoir depuis 1982, incarne une longévité politique hors norme, mais interroge la vitalité d’une nation de 28 millions d’habitants.
Alors que les fumées se dissipent à Douala, une question demeure : cette étincelle allumera-t-elle un incendie généralisé, ou le Cameroun retombera-t-il dans un silence résigné ? Les prochains jours diront si le « Lion indomptable » peut encore rugir face à une jeunesse qui refuse la cage. Pour l’heure, le pays retient son souffle — entre espoir de changement et spectre de la répression.
