Ouganda: acquittement en appel d’une activiste condamnée pour avoir harcelé Museveni

L’universitaire et militante féministe ougandaise Stella Nyanzi, condamnée à 18 mois de prison en première instance pour avoir harcelé en ligne le président Yoweri Museveni, a été acquittée mercredi en appel.

Mme Nyanzi avait été inculpée et placée en détention en novembre 2018 pour avoir posté sur son compte Facebook des propos jugés « obscènes » à l’encontre du président Museveni et de sa mère, décédée en 2001.

Dans ses commentaires, elle avait fait référence à l’anniversaire du chef de l’État et regretté dans un langage cru que celui-ci ait vu le jour.

En août 2019, elle avait été condamnée à un an et demi de prison pour harcèlement en ligne, même si le tribunal n’avait pas retenu à son encontre l’accusation de « propos offensants ».

En 2017, Mme Nyanzi avait déjà été arrêtée et placée en détention pour avoir notamment comparé le président Museveni, au pouvoir depuis 1986, à une « paire de fesses ».

Le juge Peter Adonyo l’a acquittée mercredi en appel et a également rejeté un appel du parquet concernant l’accusation de « propos offensants ».

L’universitaire s’est adressée aux dizaines de ses partisans réunis devant le tribunal en leur demandant: « Pourquoi étais-je emprisonnée? Pourquoi suis-je restée en prison pendant autant de mois? ».

« Persécution », ont répondu ceux-ci. « Museveni doit partir! Museveni, vous avez été prévenu », a-t-elle ensuite crié, avant que la police n’essaie de disperser ses supporteurs.

Cette initiative a créé la confusion et Mme Nyanzi a semblé s’évanouir. Ses partisans l’ont alors emmenée à l’écart, pendant que les responsables de la prison où elle était détenue exigeaient qu’elles rentrent dans le tribunal pour être formellement relaxée.

Des agents pénitentiaires ont ensuite tenté de l’enlever aux mains de ses soutiens et tiré en l’air à plusieurs reprises, apparemment sans blesser personne, avant que l’universitaire soit finalement évacuée dans une voiture par ses proches.

Chercheuse associée à la prestigieuse université de Makerere à Kampala, Mme Nyanzi est titulaire d’un doctorat sur les sexualités en Afrique.

Interrogée par l’AFP courant 2017, elle justifiait le recours à un vocabulaire cru: « Les paroles dites vulgaires sont parfois la meilleure option pour faire passer un message ».

Ses commentaires sur Facebook, où elle est suivie par plus de 200.000 personnes, divisent la société ougandaise, un pays largement conservateur mais dont une partie de la population, notamment au sein de la jeunesse, souhaite le départ du président.

Le président Museveni dirige le pays d’une main de fer depuis 1986. Ses opposants l’accusent d’être de plus intolérant à toute forme de critiques et la population a peu confiance dans l’indépendance de la justice.

Les Sud-Soudanais « délibérément affamés » par les parties en guerre (ONU)

L’armée gouvernementale sud-soudanaise et les différents groupes rebelles en guerre ont « délibérément affamé » les habitants du pays, en leur refusant l’accès à l’aide humanitaire et en les forçant à quitter leur foyer, selon un rapport de l’ONU publié jeudi.

La publication de ce rapport intervient à deux jours de la date butoir pour la formation d’un gouvernement d’union nationale, prévue par l’accord de paix signé en septembre 2018 à Addis Abeba.

Elle coïncide également avec une rencontre jeudi à Juba entre le président Salva Kiir et son rival historique Riek Machar pour s’accorder sur les conditions de la formation de ce gouvernement.

« Aujourd’hui au Soudan du Sud, les civils sont délibérément affamés, systématiquement surveillés et réduits au silence, arbitrairement arrêtés et détenus, et se voient refuser l’accès à toute réelle justice », a indiqué dans ce rapport une commission des droits de l’Homme de l’ONU.

Cette commission a été mise en place en 2016 par le Conseil des droits humains de l’ONU afin de rassembler des preuves qui pourraient être utilisées pour poursuivre en justice des auteurs d’atrocités. Elle a étudié les violations des droits humains commises entre la date de la signature de l’accord de paix et décembre 2019.

Les trois membres de la commission ont incriminé « des élites prédatrices et qui ne rendent aucun compte » à la population, laquelle souffre énormément depuis le déclenchement de la guerre civile en décembre 2013.

La commission a dénoncé les multiples querelles et délais dont le processus de formation d’un gouvernement d’union nationale a fait l’objet, dus selon elle à un « manque de volonté politique ».

« Les élites politiques continuent à négliger l’immense souffrance de millions de civils », a-t-elle observé.

Le Soudan du Sud a sombré dans la guerre civile en 2013, deux ans après son indépendance du Soudan, lorsque M. Kiir, un Dinka, a accusé M. Machar, son ex-vice-président, membre de l’ethnie nuer, de fomenter un coup d’État.

Le conflit, marqué par des affrontements communautaires, des atrocités et le recours au viol comme arme de guerre, a fait plus de 380.000 morts et provoqué une crise humanitaire catastrophique.

– ‘Beaucoup d’inquiétude’ –

L’application de l’accord de paix reste entravée par le recrutement continu d’enfants soldats par les forces gouvernementales et rebelles, par des violences localisées qui ont fait des centaines de mort en 2018 et 2019, par les violences sexuelles et la corruption, a établi la commission.

« La commission remarque avec beaucoup d’inquiétude qu’au-delà des facteurs climatiques, aussi bien les forces gouvernementales que les forces armées ont poursuivi des politiques responsables de la famine de la population à Wau et dans l’État de l’Unité », dans le nord du pays, ajoute le rapport.

« Le refus de laisser accéder l’aide humanitaire et les déplacements forcés, favorisés par des manœuvres illégales, ont aggravé de manière importante la famine en différents endroits du pays, privant des centaines de milliers de civils de droits vitaux, comme l’accès à la nourriture », souligne encore la commission.

L’accord de paix de 2018 est la plus récente tentative de mettre fin au conflit et de pousser MM. Kiir et Machar à gouverner ensemble. Les deux précédentes expériences se sont achevées dans un bain de sang.

La formation de ce gouvernement d’union nationale a déjà été repoussée deux fois en raison de désaccords portant notamment les arrangements sécuritaires, le cantonnement des forces gouvernementales et rebelles, et la question centrale du nombre d’États régionaux.

La commission note encore que les combats continuent dans la région de l’Équateur (sud) entre l’armée gouvernementale et plusieurs groupes rebelles. Ces violences ont causé la mort d’au moins 531 personnes entre février et mai 2019, et favorisé la corruption, selon elle.

« La corruption a rendu plusieurs officiels extrêmement riches aux dépens de millions de civils affamés », indique aussi le rapport, selon lequel des millions de dollars de taxes publiques ont été détournés.

Gouvernement et groupes rebelles ont continué à recruter des enfants soldats: 19.000 pendant la période observée selon la commission.

De même, quelque 2,2 millions d’enfants n’ont pas été scolarisés et 30% des écoles sont restées fermées.

En Syrie, des enfants traumatisés par la guerre et ballottés par l’exil

Moustapha, 12 ans, et Ines, 9 ans, aident leurs parents à charger le pick-up avant de fuir, une nouvelle fois, l’offensive meurtrière du régime dans le nord-ouest de la Syrie. Soudain, un bombardement à quelques rues de là sème la panique.

Instinctivement, Moustapha rentre la tête dans les épaules et se précipite dans le véhicule où sont empilés tapis et couvertures, suivi par sa soeur terrorisée qui se bouche les oreilles.

Une scène banale pour cette région, où les tirs d’artillerie et raids aériens du régime et son allié russe ont provoqué depuis deux mois un exode d’une ampleur sans précédent.

« Notre vie se résume à ça: des bombardements et la peur », lâche Abou Mohamed, le père de Moustapha et Inès.

La famille vivait depuis à peine un mois à Daret Ezza, dans la campagne vallonnée de l’ouest de la province d’Alep, un secteur dominé par des jihadistes et des rebelles visés par l’offensive du régime.

Originaire du sud de la province voisine d’Idleb, Abou Mohammed ne compte plus le nombre de fois où sa famille a été déplacée par les violences.

« C’est notre peur pour les enfants qui nous pousse à partir », lâche le quinquagénaire aux cheveux poivre et sel.

– « Elle hurle » –

Lorsque la famille est arrivée à Daret Ezza, elle a pris ce qui se présentait comme hébergement: un atelier aux murs noircis, où l’unique pièce était séparée de la cour par une bâche déchirée.

« C’est tout ce qu’on pouvait s’offrir », explique Abou Mohamed, qui raconte que les enfants, déjà affaiblis, ont souffert de la grippe et d’autres maladies.

Depuis début décembre, près de 900.000 personnes selon l’ONU, en majorité des femmes et des enfants, ont été déplacées par l’offensive du régime lancée contre la province d’Idleb et les territoires limitrophes, ultime grand bastion jihadiste et rebelle de Syrie.

« On ne peut calmer les enfants quand ils entendent le bruit d’un avion ou d’un obus », poursuit Abou Mohamed.

Inès, petite chose emmitouflée dans un anorak sombre et bonnet vert enfoncé sur la tête, est la plus traumatisée des quatre enfants encore à la maison, selon son père.

La nuit, elle met sa tête sous l’oreiller pour ne pas entendre les avions.

« Elle se fige totalement pendant les bombardements », raconte Abou Mohamed. « Je lui bouche les oreilles et je lui dit +n’ai pas peur, c’est loin d’ici, il n’y aura pas de frappes+. Mais elle hurle et elle pleure », soupire le père.

La famille ne sait pas encore où elle va vivre, mais elle va rallier la région d’Aazaz, au nord de Daret Ezza, et considérée comme plus sûre car située à la frontière turque.

« On logera peut-être avec mon cousin qui a pris une tente en partant », dit Abou Mohammed.

Faute de place dans le pick-up, la famille a été contrainte d’abandonner une cuisinière, des bassines, des marmites et une machine à coudre. Et comme la cabine ne peut accueillir tout le monde, certains doivent faire le voyage dans l’arrière du véhicule, juchés sur un tas d’affaires.

– « Comment les calmer? » –

Les organisations humanitaires ne cessent de tirer la sonnette d’alarme sur les traumatismes psychologiques subis en Syrie par les enfants, qui perdent leur maison, leur école, et voient parfois mourir leurs proches.

L’ONG Save the Children, qui a fait état de la mort de sept enfants dans le nord-ouest, dont un bébé, a averti que le nombre de décès pourrait augmenter vu les conditions « inhumaines » dans lesquelles vivent les déplacés.

Plus de 400 civils, dont 112 enfants, ont par ailleurs été tués depuis la mi-décembre dans les bombardements, selon l’Observatoire syrien des droits de l’Homme (OSDH).

A Daret Ezza, Abou Ahmed se prépare lui aussi à prendre la route avec ses cinq enfants, dont le plus jeune a sept ans.

Aidé par un de ses fils, un rouquin à la silhouette frêle, il charge une camionnette de ses maigres possessions sans savoir où il va aller.

Les enfants sont « terrorisés », par les bombardements, confie-t-il. Il se souvient encore des frappes particulièrement violentes dans la nuit de lundi.

« Les enfants ont couru se réfugier dans les bras de leur mère et dans les miens », raconte-t-il. « Ils hurlaient et ils pleuraient, on ne savait pas comment les calmer ».

Comment le coronavirus se propage aux multinationales

Importatrice vorace de matières premières, usine du monde, grande consommatrice de luxe et de voyages…. La Chine est incontournable d’un bout à l’autre des chaînes de production des multinationales, désormais bouleversées par l’épidémie de coronavirus.

Ogre des matières premières

Une chute de 0,3 point de croissance cette année de la deuxième économie mondiale aurait un impact presque identique (-0,2 point) sur l’ensemble de la croissance mondiale, a indiqué Deutsche Bank. Autant dire que les pays exportateurs de matières premières seraient directement touchés par le ralentissement de l’activité du géant asiatique. Selon l’assureur-crédit Coface, le géant asiatique absorbe près de 14% de la production mondiale de pétrole. L’action du géant pétrolier saoudien Aramco a d’ailleurs perdu la plupart des gains réalisés depuis son introduction à la Bourse de Ryad en décembre.

La Chine engloutit aussi près de 40% de la production mondiale de métaux. Avec des usines chinoises au ralenti, les multinationales minières sont forcément exposées: l’australien BHP, plus grand producteur mondial de minerais, a prévenu que la demande de matières premières qu’il produit pourrait être affectée, à moins que l’épidémie ne soit contenue d’ici à fin mars. Certains pays, à l’image du Chili, qui extrait presque un tiers du cuivre mondial, sont exposés. Des répercussions sont aussi à craindre pour les produits agroalimentaires, ainsi le soja, dont le Brésil est premier producteur mondial.

Usine du monde

Depuis une trentaine d’années, la Chine est devenue l’usine du monde. Elle est incontournable pour la production de téléphones portables, d’écrans plats, d’ordinateurs, de pièces détachées pour les voitures et de nombreux autres objets. L’agence Fitch a revu à la baisse sa notation de « tous les fabricants de composants électroniques », directement touchés par la fermeture de nombreuses usines en Chine. Apple a fait état de difficultés d’approvisionnement en iPhones, fabriqués en Chine.

Le groupe français d’équipement et services énergétiques Schneider Electric, dont l’usine de Wuhan n’a toujours pas redémarré, a estimé à 300 millions d’euros les pertes attendues au premier trimestre.

Le géant danois du transport maritime AP Moeller—Maersk s’attend à un début d’année « faible » du fait d’une fermeture plus longue que d’habitude des usines en Chine.

Du côté de l’automobile, Fiat Chrysler a annoncé l’arrêt provisoire de son usine de Kragujevac en Serbie « à cause d’un manque de disponibilité de certains composants en provenance de Chine ». Le japonais Toyota et l’allemand Volkswagen ont dû interrompre la production dans leurs usines d’assemblage. Le sud-coréen Hyundai a, lui aussi, dû interrompre sa production.

L’épidémie provoquée par le coronavirus peut aussi entraîner des problèmes d’approvisionnement de médicaments en Europe car une « grande partie » des « principes actifs pharmaceutiques » est fabriquée en Asie, a prévenu l’Académie française de pharmacie.

Consommatrice avide

Au fil des années, avec l’émergence d’une classe moyenne, la Chine passe progressivement d’une économie de production à celle de consommation. Ce marché de plus d’un milliard d’habitants est devenu incontournable. Apple, déjà perturbé par l’épidémie au niveau de ses approvisionnements, souffre aussi en bout de chaîne puisque la demande pour ses produits, dont les Chinois sont friands, baisse.

Des chaînes comme Starbucks, pour qui la Chine est le second marché mondial, y ont fermé de nombreux points de vente. L’équipementier sportif Adidas a vu ses activités en Chine reculer de 85% sur un an depuis la fin janvier.

L’industrie du luxe est secouée. Kering (Gucci, Yves Saint Laurent, etc) a enregistré une forte baisse de ses ventes en Chine continentale et la maison d’habillement Burberry a averti d’un « impact négatif important ».

Le secteur du tourisme est directement concerné par la mise en quarantaine de douzaines de villes chinoises et l’interdiction des voyages organisés de Chinois vers l’étranger. Selon les chiffres de la Coface, les touristes chinois dépensent chaque année 130 milliards de dollars dans le monde.

Le trafic aérien a également subi les effets de l’épidémie. Plusieurs compagnies aériennes, dont Air France, British Airways, Air Canada, Lufthansa ou Delta, ont suspendu leurs vols vers la Chine continentale. Air France-KLM a d’ailleurs estimé jeudi entre 150 et 200 millions d’euros le manque à gagner dû à la suspension des vols du groupe vers la Chine de février à avril.

Dans le secteur du tourisme, le groupe hôtelier Accor a indiqué avoir fermé 200 hôtels sur les 370 que compte son réseau en Chine et à Hong Kong.

Jean Daniel, grand journaliste et grande conscience de gauche

Grande conscience de gauche, Jean Daniel a vécu en osmose avec Le Nouvel Observateur, qu’il a fondé en 1964 avec Claude Perdriel et qu’il a longtemps dirigé, exemple rare de longévité dans la presse française.

Jusqu’à un âge très avancé, cette plume redoutée et brillante aura signé l’éditorial de l’hebdomadaire, rebaptisé L’Obs en 2014 et alors cédé au groupe Le Monde. Avec son profil d’aigle, il n’avait rien perdu de sa belle allure même si sa figure de « commandeur » et son narcissisme ont pu parfois agacer.

Jean Daniel, que l’historien Pierre Nora a qualifié de « dernière figure du journalisme inspiré », a rencontré tous les grands de ce monde.

En 1963, c’est en plein déjeuner, à Cuba, avec Fidel Castro qu’il apprend la mort de John F. Kennedy, avec lequel il vient d’avoir un entretien. « Kennedy était un ennemi auquel on s’était habitué. C’est une affaire très grave », lui dit le « Lider maximo ».

Il a été l’ami de Pierre Mendès-France, Michel Foucault, François Mitterrand, avec lequel il eut, comme tant d’autres, des relations compliquées, ou Albert Camus, en dépit de leur désaccord sur le dossier algérien.

Également écrivain et essayiste, il a signé une trentaine de livres, depuis « L’erreur », roman paru en 1952 salué par Camus, à « Mitterrand l’insaisissable » en 2016. Ses « Œuvres autobiographiques » (cinq ouvrages) ont été rassemblées en 2002 en un seul volume de 1.700 pages.

– Blessé à Bizerte –

L’Algérie, où il naît le 21 juillet 1920 à Blida, le marque pour la vie.

Élevé dans une famille algérienne de confession juive, Jean-Daniel Bensaïd, nom qu’il abandonne après-guerre pour écrire dans Combat sous le pseudonyme de Jean Daniel, est le dernier de onze enfants. Son père sera une figure adorée, s’émerveillant « chaque jour d’être Français ».

Après avoir combattu dans les rangs de la division Leclerc, il étudie après-guerre la philosophie à la Sorbonne puis entre en 1946 au cabinet de Félix Gouin, président du Gouvernement provisoire. Se situant déjà dans le courant de la gauche non communiste, il fonde, en 1947, Caliban, une revue culturelle.

Au milieu des années 50, Jean-Jacques Servan-Schreiber l’engage à L’Express où il couvre les « événements » d’Algérie. Il y reste huit ans, en devient le rédacteur en chef. Menacé de mort, inculpé pour atteinte à la sûreté de l’état, il défend l’indépendance algérienne.

En 1961, envoyé spécial en Tunisie, il est sérieusement blessé à Bizerte par des tirs de l’armée française.

Après un bref passage au Monde, ce journaliste, déjà auréolé d’une réputation dépassant les frontières françaises, co-fonde en 1964 Le Nouvel Observateur. Commence la grande aventure de sa vie.

« Jamais, nous n’avions pensé que nous réussirions. La formule choisie était assez culturelle, assez intellectuelle pour ne pas dépasser les 40-60.000 exemplaires dans le meilleur des cas », dit-il à l’AFP en 2004. En 1974, il tire déjà à 400.000 exemplaires !

Le tandem qui dirige le titre fait merveille : à Claude Perdriel, la gestion, à Jean Daniel, la rédaction. « Nous avons réussi, confiait ce dernier, à un moment, à réunir autour de nous les plus brillants journalistes d’Europe ».

Les deux hommes sont inséparables, passent leurs vacances ensemble, avant que les liens ne se distendent. Jean Daniel devait épouser Michèle Bancilhon, première femme de Claude Perdriel. Le couple aura une fille, Sara Daniel, future journaliste au Nouvel Observateur.

– « Pessimiste émerveillé » –

Participant à tous les grands débats de l’époque, le magazine défend l’anticolonialisme, publie en une le manifeste des « 343 salopes » pour l’avortement, soutient Mendès-France, Rocard puis Mitterrand, polémique avec le Parti communiste.

Sur le Proche-Orient, malgré son « attachement indéfectible à Israël », Jean Daniel qui, selon lui, refusa trois fois un poste d’ambassadeur proposé par le président Mitterrand, considérait que « les Palestiniens avaient droit à un État ».

Après les révélations d’Alexandre Soljenitsyne sur l’existence des Goulags en URSS, il écrit : « nous ne laisserons jamais à la droite le confortable et unique monopole de la contestation contre les démences des bureaucrates totalitaires ».

En guise de bilan professionnel et intellectuel, Jean Daniel, qui fut membre du conseil supérieur de l’Agence France-Presse, se félicitait d’avoir « entrepris de +dé-marxiser+ la gauche avec des principes de gauche ».

En 2016, ce « pessimiste émerveillé », selon ses mots, assurait : « pour moi, le repos c’est la mort ». Il avait alors 96 ans…

Après un an d’existence, le Hirak algérien s’interroge sur son avenir

Après avoir échoué à empêcher en décembre l’élection d’un successeur au président déchu Abdelaziz Bouteflika, le mouvement de contestation en Algérie, le « Hirak », s’interroge sur son avenir, confronté aux risques d’essoufflement face à un régime qui semble avoir repris la main.

Informel, non structuré, agrégeant autour de deux mots d’ordre essentiels –« Silmyia » (pacifique) et « Qu’ils partent tous! »– un éventail d’opinions disparates, voire de fractures idéologiques, le « Hirak » entre dans sa 2e année avec de nombreuses questions auxquelles il doit répondre rapidement.

Le mouvement est jeune, « tout s’y fait dans la spontanéité, la découverte, l’expérimentation mais aussi dans les clivages », explique à l’AFP Karima Dirèche, historienne spécialiste du Maghreb contemporain. « Il faut apprendre à écouter l’autre, à accepter qu’il soit d’un avis différent, apprendre à négocier des consensus. On n’y est pas encore ».

L’élection en décembre d’un nouveau chef de l’Etat, Abdelamdjid Tebboune, ancien cadre de la présidence Bouteflika et pur produit du « système », paraît avoir enterré la principale revendication du « Hirak »: la fin du régime au pouvoir depuis l’indépendance en 1962 et une « transition » vers des institutions nouvelles.

« La transition politique, on n’y est pas; on est en train d’y réfléchir » au sein de la contestation, assure Mme Dirèche, directrice de recherches au Centre national de recherche scientifique (CNRS, France).

Actuellement, « on est dans quelque chose de très bizarre: la mobilisation est toujours là (…), mais on voit bien qu’il y a une vraie difficulté à passer à autre chose » que ces rassemblements hebdomadaires, relève-t-elle.

– Importantes décisions –

Le « Hirak » doit-il négocier avec un président qui a dit « lui tendre la main »? Doit-il se structurer et désigner des représentants? Doit-il envisager d’autres modes d’action?

« Le mouvement a d’importantes décisions à prendre », confirme Dalia Ghanem, chercheuse au Carnegie Middle East Center de Beyrouth (Liban).

Ses militants ne sont unanimement d’accord que sur les deux principaux mots d’ordre, mais « pas sur les modalités (d’action) ni sur l’institutionnalisation (du mouvement), ni sur le leadership », note la chercheuse.

L’absence de chefs a beaucoup servi la contestation, jusque-là: « Puisqu’ils n’existaient pas, ils n’ont pas pu être incarcérés ni harcelés ou cooptés », comme le faisait le régime pour taire les oppositions, poursuit-elle. Mais cette absence de figures dirigeantes identifiées entrave la capacité du mouvement à négocier avec le pouvoir.

En Algérie, faute de véritables partis d’opposition, de syndicats et de médias indépendants, « les forces d’opposition et de contestation qui auraient pu prendre le relais » n’existent pas, souligne Karima Dirèche.

– Penser à « l’après » –

Pour Pierre Vermeren, professeur d’histoire contemporaine à Paris-I et spécialiste du Maghreb, « la seule option pacifique » pour la contestation « est de reconstruire des organisations politiques ou des associations civiles afin de préparer les élections locales et nationales » et avoir des élus capables de « relayer la parole du +Hirak+ dans les institutions ».

« Le problème est que, malgré leur goût de la chose politique, les Algériens ont une confiance très limitée dans les institutions existantes », constate-t-il.

Le mouvement commence néanmoins à se structurer au niveau local.

En face, le pouvoir est en pleine « régénération », avec un président à nouveau « façade civile d’un régime qui reste aux mains de l’institution militaire », analyse Dalia Ghanem.

Un pouvoir tenté de jouer le pourrissement alors que le « Hirak » n’a plus obtenu gain de cause depuis la démission du président Abdelaziz Bouteflika le 2 avril et le report d’une première tentative de scrutin présidentiel en juillet.

« Les dirigeants (algériens) savent très bien faire ça », observe Mme Dirèche.

En outre, « chaque mouvement social est par définition victime du temps et ne peut continuer éternellement », selon Dalia Ghanem: dès lors, « comment convaincre les gens de continuer à descendre dans la rue chaque vendredi? ».

Il faut donc penser à « l’après ».

Mais, traumatisés par des années de violence politique, les Algériens renâclent à d’autres modes d’actions, comme la grève générale ou la désobéissance civile. Chez les Algériens, « on réfléchit à deux fois avant la confrontation », note Karima Dirèche.

L’historienne ne croit pas à l’essouflement des marches: « Ce mode opératoire permet d’économiser ses forces ». Les défilés sont un moyen de « s’initier à la politique, chose interdite jusqu’à présent et absente des réseaux classiques, à l’école ou à l’université, dans les partis ».

« Les choses sont en train de s’apprendre, s’expérimenter, et bien évidemment tout cela va produire quelque chose. Mais quoi? Comment? Quand? Difficile à dire ».

Pour Akram Belkaïd, journaliste et essayiste algérien, « il faut s’inscrire dans le temps long ».

« Il y a des demandes, des exigences du peuple. Le +Hirak+ est un aiguillon. Il rappelle sans cesse que rien ne va. Tôt ou tard, le régime devra en tenir compte ».

Les fouilles de fosses communes, un enjeu très politique au Burundi

Chargée des fouilles qui ont déjà permis de retrouver les ossements de plus de 6.000 victimes des massacres interethniques de 1972 au Burundi, la Commission vérité et réconciliation (CVR) est accusée de s’immiscer par ce biais dans la campagne pour l’élection présidentielle de mai.

L’excavation fin janvier et début février de six fosses communes situées au bord de la rivière Ruvubu, à une vingtaine de kilomètres au nord-est de Gitega (centre), la nouvelle capitale administrative du pays, a permis d’exhumer les ossements de 6.032 victimes, selon la CVR.

Mais la Ruvubu est loin d’avoir livré tous ses secrets. Une seconde phase de fouilles, qui devrait durer au moins deux semaines, a commencé lundi sur le même site, a indiqué à l’AFP le président de la CVR, Pierre-Claver Ndayicariye.

« Il y a deux (autres) fosses communes confirmées, et nous en avons dix renseignées mais pas encore vérifiées », a-t-il précisé, ajoutant que « des témoins parlent d’autres fosses communes plus loin dans des champs de maïs ».

A sa création en 2014, la commission avait été mise en place pour établir la vérité sur les massacres interethniques ayant frappé le Burundi depuis son indépendance en 1962 jusqu’au 4 décembre 2008, date supposée de la fin de la violence armée dans le pays.

Le Burundi a connu une série de massacres interethniques, qui ont culminé en 1972, et de coups d’Etat, prémices à une longue guerre civile (1993-2006) ayant opposé des rebelles hutu à l’armée, dominée par la minorité tutsi, et fait plus de 300.000 morts.

En janvier, la CVR avait annoncé avoir identifié 142.505 personnes tuées ou portées disparues dans les différentes tragédies qui ont endeuillé le Burundi depuis 1962, et recensé à ce jour plus de 4.000 fosses communes de différentes tailles à travers tout le pays.

– « Enquête approfondie » –

D’après les témoignages recueillis par la commission, les victimes de la Ruvubu « étaient acheminées de la prison de Gitega par camion chaque nuit en mai et juin 1972 », ainsi que des communes environnantes.

Des témoins ont affirmé à l’AFP qu’il s’agissait de membres de l’élite hutu, victimes de la terrible répression menée par le pouvoir tutsi de l’époque, qui a fait entre 100.000 et 300.000 morts selon des associations militant pour la reconnaissance du « génocide hutu de 1972 ».

Mais « ce n’est pas à la CVR de vous dire à ce stade si les victimes sont des Hutu ou des Tutsi, ce sont des Burundais en premier lieu », a affirmé M. Ndayicariye, ajoutant qu’elle doit d’abord mener « une enquête approfondie » pour identifier les victimes et les responsables.

Derrière cette apparente prudence verbale, ce dernier est cependant accusé de manier un double langage par l’opposition et la société civile, qui reprochent à la CVR d’être instrumentalisée par le pouvoir actuel à l’approche de l’élection présidentielle.

« La CVR cible volontairement des fosses communes qu’elle déclare être celles de victimes hutu, alors que tout le monde sait qu’il y a eu une hécatombe de Tutsi en 1993 dans la province de Karusi », proche du lieu des fouilles actuelles, dénonce Emmanuel Nkurunziza, président de la section canadienne de l’organisation AC-génocide Cirimoso.

« La CVR participe ainsi à la campagne électorale du pouvoir CNDD-FDD qui a toujours caressé la fibre ethnique pour rallier à sa cause la majorité hutu », ajoute cet activiste exilé au Canada.

– « Aucune crédibilité » –

Le CNDD-FDD, parti du président burundais Pierre Nkurunziza, au pouvoir depuis 2005 et qui ne se représentera pas en mai, est issu de l’ancienne principale rébellion hutu lors de la guerre civile. Les Hutu représentent 85% de la population du Burundi, contre 14% pour les Tutsi.

Vital Nshimirimana, l’une des figures de la société civile burundaise qui a fui en exil, dénonce « un travail d’exhumation sommaire, des conclusions hâtives sur les victimes et les auteurs sans aucune enquête approfondie ».

Lui aussi estime que la CVR, au service du pouvoir, essaie de « manipuler la vérité (…) pour pouvoir reconnaître officiellement qu’il y a eu un génocide de Hutu en 1972 ».

La CVR est constituée presque exclusivement de membres du CNDD-FDD. Et M. Ndayicariye est l’ancien président de la commission électorale lors des élections controversées de 2010 et 2015.

La présidentielle de 2010 avait été boycottée par l’opposition et la candidature du président Nkurunziza à un troisième mandat controversé en avril 2015, puis sa réélection en juillet de la même année, ont plongé le Burundi dans une crise politique majeure, accompagnée de violences ayant fait au moins 1.200 morts.

« La CVR actuelle ne jouit d’aucune crédibilité ni d’aucune indépendance, parce qu’elle est constituée de militants très zélés » du CNDD-FDD, estime Chauvineau Mugwengezo, le président exilé en Belgique de la CFOR-Arusha, un collectif de partis d’opposition.

La commission, abonde-t-il, « est instrumentalisée pour des raisons électoralistes au risque de raviver la haine ethnique au Burundi ».

Après 20 ans au pouvoir, Poutine incontournable sur les stands touristiques

Après vingt années de pouvoir, des stands de souvenirs russes aux librairies, des matriochkas aux chocolats, le visage de Vladimir Poutine est omniprésent.

Même si les ventes ne sont pas nécessairement colossales, son profil est devenu un élément incontournable du folklore russe proposés aux touristes russes et étrangers. Particulièrement à Saint-Pétersbourg sa ville natale.

En chef de guerre, caressant des animaux sauvages ou chevauchant un ours, Vladimir Poutine s’affiche sur à peu près tout support pouvant être vendu.

Artiste peintre et homme d’affaires, Alexeï Serguienko ne fait pas exception: dans chacun de ses 64 kiosques à souvenirs, situés autour de la cathédrale Saint-Sauveur-sur-le-Sang-Versé, on retrouve alignées des poupées gigognes à l’effigie du président.

« Le volume des ventes des souvenirs avec Poutine ne représente que 3-4% (du total), mais c’est stable », souligne M. Serguienko, un fan de l’homme fort de la Russie qui lui a consacré une exposition en 2012, intitulée « Président. Un homme à l’âme bonne ».

On y voyait un Poutine « pop art », portant un enfant sur ses épaules sur fond de soleil flamboyant, ou arrêtant une météorite en costume de super-héros hollywoodien, des tableaux qui jouaient sur l’imagerie du « sauveur de la Nation » régulièrement mise en avant par les autorités.

-‘On s’y est habitués’ –

Aujourd’hui encore, des tablettes de chocolat emballées dans du papier représentant ces oeuvres d’Alexeï Serguienko sont vendues 150 roubles (deux euros) dans des boutiques de Saint-Pétersbourg.

Au Dom Knigi (Maison des livres), la plus grande librairie de Saint-Pétersbourg sur la prestigieuse perspective Nevski, les représentations de Poutine sont aussi inévitables.

Du simple aimant vendu une centaine de roubles au mug à 600 roubles (8,5 euros), « ça fait partie de la gamme des souvenirs, on s’y est habitués », constate Natalia, une vendeuse.

Directeur de la société « Che Guevara », spécialisée dans la vente en ligne de souvenirs à forte consonance politique, Alexeï Ivanov explique que Poutine est désormais identifié aux Russes.

« Le principal, c’est (sa) popularité, le fait qu’il soit très reconnaissable et la relation +spéciale+ (des Russes) avec cet homme », dit-il.

Car malgré une récente baisse de popularité due à la stagnation économique et une douloureuse réforme des retraites, pour la majorité des Russes, il reste, 20 ans après son arrivée au pouvoir, celui qui a sorti le pays du chaos post-soviétique, même si ce fut aux prix de libertés publiques et politiques.

Vladimir Poutine est aussi crédité pour avoir réimposé la puissance russe sur la scène internationale, avec notamment la populaire annexion de la Crimée ukrainienne en 2014.

C’est peu après ce tour de force, qu’Alexandre Savenkov, agent immobilier à Saint-Pétersbourg, a acheté son t-shirt noir à l’effigie du président.

« Je le mets de temps en temps, surtout lorsque je suis en vacances à l’étranger », s’amuse le quadragénaire.

« Poutine est un leader fort, je le respecte pour cela », poursuit-il.

-« Jusqu’à la fin de ma vie »-

Pour Andreï Stepanov, un ingénieur péterbourgois de 60 ans, tout ça c’est trop.

« J’ai déjà l’impression d’habiter en Corée du Nord, le Grand Poutine est partout: à la télé, aux journaux, ses portraits sont dans tous les établissements officiels et même sur les souvenirs, c’est trop », regrette-t-il.

Le Kremlin dit aussi trouver qu’il y a des excès. Son porte-parole, Dmitri Peskov a ainsi jugé « inappropriée » la récente mise en vente à l’aéroport de Saint-Pétersbourg d’imitations d’icônes orthodoxes représentant Vladimir Poutine.

« Nous ne l’approuvons pas. Le président lui-même ne l’approuve pas, on peut difficilement appeler ça des icônes », a-t-il déclaré en réponse à une question de l’AFP.

La présidence russe a néanmoins mis en ligne un site entier de photos et vidéos souvenirs retraçant les 20 années au pouvoir de M. Poutine: en compagnie d’homologues, à la pêche, avec un bébé tigre, l’arme à la main, au volant d’une voiture de course ou commandant des unités militaires.

Les bibelots estampillés Poutine risquent en tout cas de rester incontournables longtemps, regrette Sergueï, qui en vend dans le centre-ville de Saint-Pétersbourg.

« Je me demande si je continuerai à les vendre jusqu’à la fin de ma vie et j’ai peur que la réponse soit positive! », dit le jeune homme d’une trentaine d’années.

Après un an d’existence, le Hirak algérien s’interroge sur son avenir

Après avoir échoué à empêcher en décembre l’élection d’un successeur au président déchu Abdelaziz Bouteflika, le mouvement de contestation en Algérie, le « Hirak », s’interroge sur son avenir, confronté aux risques d’essoufflement face à un régime qui semble avoir repris la main.

Informel, non structuré, agrégeant autour de deux mots d’ordre essentiels –« Silmyia » (pacifique) et « Qu’ils partent tous! »– un éventail d’opinions disparates, voire de fractures idéologiques, le « Hirak » entre dans sa 2e année avec de nombreuses questions auxquelles il doit répondre rapidement.

Le mouvement est jeune, « tout s’y fait dans la spontanéité, la découverte, l’expérimentation mais aussi dans les clivages », explique à l’AFP Karima Dirèche, historienne spécialiste du Maghreb contemporain. « Il faut apprendre à écouter l’autre, à accepter qu’il soit d’un avis différent, apprendre à négocier des consensus. On n’y est pas encore ».

L’élection en décembre d’un nouveau chef de l’Etat, Abdelamdjid Tebboune, ancien cadre de la présidence Bouteflika et pur produit du « système », paraît avoir enterré la principale revendication du « Hirak »: la fin du régime au pouvoir depuis l’indépendance en 1962 et une « transition » vers des institutions nouvelles.

« La transition politique, on n’y est pas; on est en train d’y réfléchir » au sein de la contestation, assure Mme Dirèche, directrice de recherches au Centre national de recherche scientifique (CNRS, France).

Actuellement, « on est dans quelque chose de très bizarre: la mobilisation est toujours là (…), mais on voit bien qu’il y a une vraie difficulté à passer à autre chose » que ces rassemblements hebdomadaires, relève-t-elle.

– Importantes décisions –

Le « Hirak » doit-il négocier avec un président qui a dit « lui tendre la main »? Doit-il se structurer et désigner des représentants? Doit-il envisager d’autres modes d’action?

« Le mouvement a d’importantes décisions à prendre », confirme Dalia Ghanem, chercheuse au Carnegie Middle East Center de Beyrouth (Liban).

Ses militants ne sont unanimement d’accord que sur les deux principaux mots d’ordre, mais « pas sur les modalités (d’action) ni sur l’institutionnalisation (du mouvement), ni sur le leadership », note la chercheuse.

L’absence de chefs a beaucoup servi la contestation, jusque-là: « Puisqu’ils n’existaient pas, ils n’ont pas pu être incarcérés ni harcelés ou cooptés », comme le faisait le régime pour taire les oppositions, poursuit-elle. Mais cette absence de figures dirigeantes identifiées entrave la capacité du mouvement à négocier avec le pouvoir.

En Algérie, faute de véritables partis d’opposition, de syndicats et de médias indépendants, « les forces d’opposition et de contestation qui auraient pu prendre le relais » n’existent pas, souligne Karima Dirèche.

– Penser à « l’après » –

Pour Pierre Vermeren, professeur d’histoire contemporaine à Paris-I et spécialiste du Maghreb, « la seule option pacifique » pour la contestation « est de reconstruire des organisations politiques ou des associations civiles afin de préparer les élections locales et nationales » et avoir des élus capables de « relayer la parole du +Hirak+ dans les institutions ».

« Le problème est que, malgré leur goût de la chose politique, les Algériens ont une confiance très limitée dans les institutions existantes », constate-t-il.

Le mouvement commence néanmoins à se structurer au niveau local.

En face, le pouvoir est en pleine « régénération », avec un président à nouveau « façade civile d’un régime qui reste aux mains de l’institution militaire », analyse Dalia Ghanem.

Un pouvoir tenté de jouer le pourrissement alors que le « Hirak » n’a plus obtenu gain de cause depuis la démission du président Abdelaziz Bouteflika le 2 avril et le report d’une première tentative de scrutin présidentiel en juillet.

« Les dirigeants (algériens) savent très bien faire ça », observe Mme Dirèche.

En outre, « chaque mouvement social est par définition victime du temps et ne peut continuer éternellement », selon Dalia Ghanem: dès lors, « comment convaincre les gens de continuer à descendre dans la rue chaque vendredi? ».

Il faut donc penser à « l’après ».

Mais, traumatisés par des années de violence politique, les Algériens renâclent à d’autres modes d’actions, comme la grève générale ou la désobéissance civile. Chez les Algériens, « on réfléchit à deux fois avant la confrontation », note Karima Dirèche.

L’historienne ne croit pas à l’essouflement des marches: « Ce mode opératoire permet d’économiser ses forces ». Les défilés sont un moyen de « s’initier à la politique, chose interdite jusqu’à présent et absente des réseaux classiques, à l’école ou à l’université, dans les partis ».

« Les choses sont en train de s’apprendre, s’expérimenter, et bien évidemment tout cela va produire quelque chose. Mais quoi? Comment? Quand? Difficile à dire ».

Pour Akram Belkaïd, journaliste et essayiste algérien, « il faut s’inscrire dans le temps long ».

« Il y a des demandes, des exigences du peuple. Le +Hirak+ est un aiguillon. Il rappelle sans cesse que rien ne va. Tôt ou tard, le régime devra en tenir compte ».

Présidentielle au Togo: Jean-Pierre Fabre et Agbéyomé Kodjo, deux candidats d’une opposition divisée

Face au président sortant Faure Gnassingbé, dont la victoire pour un quatrième mandat samedi ne laisse guère de suspens, Jean-Pierre Fabre, candidat historique de l’opposition togolaise devra affronter un autre adversaire, l’ancien premier ministre Agbéyomé Kodjo, qui s’est révélé lors de cette campagne être un outsider crédible.

– Jean-Pierre Fabre –

Surnommé « le marcheur », Jean-Pierre Fabre a parcouru des kilomètres inlassablement, des années durant, pour manifester contre le président Faure Gnassingbé, dont la famille est au pouvoir depuis plus de 50 ans. Mais à 67 ans, le candidat historique de l’opposition peine désormais à rassembler et à se faire entendre.

Le chef de file de l’Alliance nationale pour le changement (ANC) n’a guère de chance d’être élu face à un appareil d’Etat qui contrôle tous les rouages du pouvoir, mais son défi sera surtout de remporter plus de suffrages qu’en 2010 et 2015 (respectivement près de 34% et 35% des voix) et d’être le premier candidat de l’opposition.

Economiste de formation à la stature imposante, marié et père de trois enfants, M. Fabre s’est engagé en tant que défenseur des droits humains sous l’ère du général Gnassingbé Eyadéma, le père de l’actuel président, qui a dirigé le pays d’une main de fer pendant 38 ans jusqu’à sa mort en 2005.

En 1992, il rejoint Gilchrist Olympio, l’éternel opposant du vieux général Eyadéma et l’Union des forces de changement (UFC), dont il prend les rênes, avant de claquer la porte en 2010 et de fonder l’ANC.

Récemment élu maire d’une commune implantée au coeur de la capitale Lomé, il garde un fort soutien populaire dans le sud du pays dont il est originaire.

Sa « force », sa « détermination », mots qui reviennent sans cesse dans sa campagne, mais aussi l’énergie et le travail qu’il a déployés depuis ses débuts en politique forcent le respect, même au sein de ses détracteurs.

Toutefois, beaucoup lui reprochent de ne pas avoir su tirer partie des manifestations massives de 2017 et 2018, où des dizaines de milliers de personnes étaient descendues dans les rues pour demander la démission de Faure Gnassingbé.

La C14, coalition des partis de l’opposition, fondée alors avec Tikpi Atchadam du Parti national panafricain (PNP), n’a pas survécu aux querelles intestines.

Après deux années de manifestations qui ont fait une vingtaine de morts et des dizaines d’arrestation, le pouvoir a finalement validé la réforme constitutionnelle permettant au chef de l’Etat de se représenter à un quatrième mandat en 2020, mais aussi à se représenter en 2025.

Face à cet échec, M. Atchadam s’est résolu au silence et à l’exil, et de nombreux partis ont quitté la coalition.

« Fabre pourrait déclencher l’alternance au Togo, s’il arrivait à tendre une main fraternelle à ses collègues de l’opposition, mais son caractère ne permet pas aux autres de l’approcher », assure l’un de ses rivaux. « Il a toujours pensé qu’il pouvait renverser seul le régime ».

– Agbéyomé Kodjo –

Ancien Premier ministre sous le règne du général Eyadéma, dont il était considéré comme « l’enfant chéri », Messan Agbéyomé Kodjo est cette année l’un des six candidats de l’opposition et a crée la surprise durant cette campagne.

Enregistrant un score insignifiant à la présidentielle de 2010 (0,9% des voix), Kodjo a fortement gagné en popularité ces deux derniers mois, grâce au soutien de Mgr Philippe Fanoko Kpodzro, archevêque émérite de Lomé, voix importante de la société civile togolaise qui n’a pas hésité à le désigner comme « le choix de Dieu ».

Quatre partis politiques membres de l’ancienne C14, dont la formation politique de la coordinatrice de cette coalition, Brigitte Adjamagbo-Johnson, l’ont également rejoint.

Ses proches louent la « rigueur » et le « pragmatisme » de l’homme politique qui a été président de l’Assemblée nationale (1999-2000) et a occupé plusieurs portefeuilles ministériels dans des gouvernements de Gnassingbé Eyadéma, avant d’être limogé en 2002, contraint à l’exil, puis incarcéré pendant quelques mois à son retour au Togo.

L’opposant a animé avec détermination le Collectif Sauvons le Togo (CST), un regroupement de partis d’opposition et d’organisations de la société civile, mais ses adversaires voient dans sa candidature une « stratégie » servant les intérêts du pouvoir.

« Avec une telle opération, il sera plus facile de dire que l’opposition a perdu parce qu’elle a éparpillé ses voix », selon Messan Lawson, opposant et éditorialiste togolais.