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Afrique : le drone civil, future arme des jihadistes ?

Sur le continent africain, le recours aux drones civils par les groupes djihadistes devient de plus en plus fréquent et…

Sur le continent africain, le recours aux drones civils par les groupes djihadistes devient de plus en plus fréquent et inquiète les experts.C’est la plus grande perte subie par les Forces armées maliennes (Fama) depuis 2019. Dimanche 7 août, des jihadistes de l’État islamique au Sahel (EIS) ont attaqué la base de Tessit, dans le cercle d’Ansongo, à 1342 kilomètres à l’est de Bamako, faisant 42 morts parmi les soldats maliens, selon un bilan officiel qui revendique en même temps la neutralisation de 37 assaillants.

Le communiqué publie le 8 août par l’Etat-major général des armées décrit « une attaque complexe et coordonnée de groupes armés terroristes bénéficiant d’un appui drone et artillerie avec usage des explosifs et véhicule piégé ».

Le lendemain, 9 août, Fahad Ag Almahmoud, un influent membre du mouvement armé touareg pro-gouvernemental GATIA (groupe d’autodéfense Imghad et Alliés), confirme l’usage de drones par les jihadistes. « J’espère que les Fama savent que l’EIGS (ancien nom de l’EIS) a des drones. Je profite de l’occasion pour informer les Maliens de cela », a posté sur Twitter, l’activiste touareg.

L’usage de drones par les jihadistes n’est pourtant pas une nouveauté au Mali, même s’il ne s’agit en général que de la version commerciale de moins de 4 kilogrammes avec une autonomie très limitée, destinée initialement à un usage civil, et non d’appareils armés, plus sophistiqués et plus onéreux comme ceux utilisés par les armées régulières.

Véhicule sans pilote (UAV), le drone peut être contrôlé par un logiciel à distance ou d’auto-automatisation, selon un rapport sur le marché des drones en Afrique du Sud publié en 2019. Ce document consulté par APA explique que l’appareil « se compose d’une source d’alimentation, comme des batteries lithium-on ou de cellules solaires à des combustibles et hybride, des rotors, d’hélices, de caméras, un altimètre, des contrôleurs pour communiquer par onde et une carrosserie ».

Le drone est une invention militaire apparue au début du 20ᵉ siècle, précisément pendant la Première Guerre mondiale.

Le 2 juillet 1917, le Français Max Boucher réussit à faire décoller un avion de type Voisin 150 HP. L’aéronef sans pilote s’est envolé sur une distance de 500 m à une altitude de 50 m au-dessus du sol.

Naviguant sur le succès de cette nouvelle technologie, des entreprises ont investi le marché des drones commerciaux qui devrait passer de 14 milliards de dollars en 2018 à plus de 43 milliards de dollars en 2024, d’après le rapport sur le marché sud-africain des drones paru en 2019.

« Entre 60 et 100 bombardements aériens en Irak et en Syrie »

Mais, rapidement, ces appareils volants sont devenus des moyens permettant à des groupes armés non étatiques de s’exprimer autrement.

C’est « la technologie actuelle la plus prémonitoire qui permettra de futures attaques terroristes », estime le major Thomas G. Pledger dans une étude sur « Le rôle des drones dans les futures attaques terroristes » publiée en février 2021.

« Les drones ont la capacité de créer une impasse. Ce qui peut permettre aux terroristes de mener plusieurs attaques presque simultanément, amplifiant rapidement leur effet global », affirme le major Pledger, mentionnant qu’« entre 1994 et 2018, plus de 14 attentats ont été planifiés ou tentés » à l’aide de cette technologie.

« La menace des drones +grand public+ provenant du secteur civil est identifiée depuis près d’une dizaine d’années en Europe. Comme on l’a vu en Syrie ou en Irak, ces drones, dont les plus courants sont les DJI d’origine chinoise, sont très accessibles, car en vente libre sur Internet, via des sites en ligne comme Amazon. Pour quelques centaines de dollars, vous pouvez acheter une petite machine faible et facile à utiliser », assure Olivier Fourt, spécialiste des questions de défense à Rfi et actuellement correspondant en Afrique de l’Ouest pour l’Hebdomadaire spécialisé Air et Cosmos.

Le prix de la gamme de la plupart des drones commerciaux prêts à l’emploi capables de soulever une charge de la taille d’une arme se situerait entre 1000 et 2000 dollars.

Pour garder sa capitale en Irak, Mossoul, l’État islamique avait jeté son dévolu sur ces appareils contre les forces régulières irakiennes. Selon le directeur des initiatives stratégiques du Centre de lutte contre le terrorisme (CTC) de l’Académie militaire américaine de West Point, Don Rassler, l’organisation jihadiste menait, à l’époque où elle occupait une grande partie de l’Irak et de la Syrie, 60 et 100 bombardements aériens à l’aide de drones.

Damien Ferré, directeur de la société Jihad Analytics, spécialisée dans l’analyse du jihad mondial et cyber a, pour sa part, documenté 72 attaques menées par l’État islamique entre octobre 2015 et décembre 2017 dans ces deux pays.

Des documents trouvés à Mossoul, après la défaite de l’Etat islamique, par l’armée irakienne montrent d’ailleurs comment ce groupe a tenté de normaliser et d’institutionnaliser les données sur son programme de drone. « Une brigade subordonnée au comité de fabrication et de développement militaire du groupe avait produit un formulaire de quatre pages contenant la liste de contrôle des drones avant et après le vol et des zones pour enregistrer les commentaires après action et marquer quel type de mission avait été menée », révèle Don Rassler.

Le drone commercial pour des attaques terroristes en Afrique ?

L’organisation jihadiste a tenté d’expérimenter l’utilisation des drones en dehors de la zone syro-irakienne où elle a perdu du terrain, comme en témoigne la publication, en janvier 2016, d’une vidéo avec une vue aérienne d’une bataille à Benghazi, en Libye.

En Afrique sub-saharienne, dès 2018, le Groupe de soutien à l’Islam et aux musulmans (GSIM) lié à Al-Qaida au Maghreb islamique (AQMI) aurait fait recours au drone pour planifier une attaque contre le Super Camp de la Mission multidimensionnelle intégrée des nations unies pour la Stabilisation au Mali (Minusma) à Tombouctou.

Une année plus tard, c’est au tour l’EIS de lui emboîter le pas. Une source sécuritaire soutient que l’ex-EIGS s’est servi des drones pour faire le repérage des camps de l’armée malienne d’Indélimane et des postes avancés d’Inatès et Chinaghodar au Niger en 2019. C’était la période synonyme de la montée en puissance de ce groupe dans la région des trois frontières où se rencontrent le Mali, le Burkina Faso et le Niger, plus connue sous le nom de Liptako-Gourma. Le drone qui aurait servi à collecter des informations sur les camps militaires de ces pays aurait été récupéré par les soldats français de l’Opération Barkhane lors d’une opération menée en 2020 et ayant conduit à l’élimination de l’opérateur.

Mais les militaires français qui viennent de se retirer définitivement du Mali, suite à une longue crise avec les officiers ayant pris le pouvoir à Bamako en 2020, n’ont pas réussi à mettre un terme au recours à ce moyen technique d’espionnage par l’EIS. En avril 2021, des jihadistes appartenant à la même entité sont montrés dans une vidéo non datée en train de manipuler un drone Phantom 3 pro quadricoptère, de fabrication chinoise.

L’Afrique de l’Est et australe ne sont pas en reste. En mai 2020, le ministre mozambicain de l’Intérieur affirmait que les jihadistes d’« Ansar al sunna » communément appelés « al Shabab », affiliés à l’Etat islamique, utilisaient déjà des drones pour « identifier leurs cibles ».

Une étude du journal de la sécurité stratégique titrée « une menace volante à venir au Sahel et en Afrique de l’Est » soutient que la province de l’État islamique en Afrique de l’Ouest a reçu des conseils du noyau de l’EI central sur l’utilisation des drones. Mais à l’heure actuelle, les jihadistes nigérians n’ont pas encore conduit d’attaques avec cet outil. Ils se contentent de l’employer à des fins de propagande, comme l’illustre une vidéo de 27 minutes intitulée « la Génération autonome », diffusée le 18 janvier 2022 avec des prises de vue de drone.

« En réalité, c’est même son utilisation première aux mains d’un groupe armé », assure Olivier Fourt. Pour le spécialiste, le drone « peut aussi être une arme psychologique avec des survols que l’on pourrait qualifier de harcèlement destiné à fatiguer les sentinelles qui devront maintenir un niveau d’alerte élevée dans la durée ».

Le 21 août dernier à Tombouctou, au Mali, un drone a été observé en train de survoler le camp de la Minusma, activant la force de réaction rapide.

« Quand l’opportunité se présentera, l’État islamique utilisera de manière ponctuelle ce type d’arme pour mener certaines de ces attaques », prévient Damien Ferré.

Une source sécuritaire contactée par APA, pense cependant « que tant que l’EI aura assez de combattants, ils n’utiliseront pas cette technique, car ils n’auront pas la même rapidité d’exécution qu’avec les fantassins ».

Les Etats africains en alerte maximale

Selon la même source, ce genre d’appareil est « facile à trouver sur les marchés locaux, que ce soit à Gao, Niamey et autres grandes villes du Niger, du Mali et du Nigeria. Les jihadistes ont accès à ces marchés à travers des intermédiaires ou fournisseurs pour qui ils doublent toujours les prix, par exemple si la marchandise coûte 500.000 francs CFA (près de 600 dollars), ils peuvent l’acheter à 1 million francs CFA (1500 dollars) car ils ont du cash, beaucoup de cash ».

En Afrique, l’achat et l’usage des drones sont pourtant théoriquement « beaucoup plus encadrés qu’en Europe », rappelle Olivier Fourt.

Dans un pays comme le Sénégal, jusqu’ici un des rares en Afrique de l’Ouest à rester épargné par les attaques jihadistes, les autorités ont mis en place des garde-fous pour parer à toute éventualité. « L’importation et l’utilisation des drones sont principalement régies par l’annexe 5 du règlement aéronautique du Sénégal numéro 6 relatif au système d’aéronefs téléportés (…) Les personnes physiques sont éligibles à l’obtention d’une autorisation d’exploiter un drone. Les personnes morales régulièrement établies au Sénégal et celles ne résidant pas au Sénégal, dotées d’un contrat légal de prestation de service, sont également éligibles à la détention et à l’utilisation d’un tel aéronef à des fins professionnelles ou commerciales. Elles doivent être identifiées par l’Autorité qui leur délivre un numéro d’identification », explique Amadou Tidiane Cissé, Inspecteur principal des Douanes et auteur de l’ouvrage « Terrorisme, la fin des frontières », paru aux Éditions Harmattan 2021.

Selon l’officier sénégalais, « la douane veille à l’application stricte des dispositions de la réglementation au niveau du cordon douanier », rappelant que des sanctions administratives, pécuniaires et des poursuites pénales sont prévues à l’encontre des personnes qui utilisent les drones sans les titres exigibles.

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