Un cri d’évêques dans la nuit togolaise : la Conférence des Évêques du Togo fustige la violence et appelle à la résistance éthique
Lomé, 1ᵉʳ juillet 2025 – Dans un Togo où le sang a coulé comme une plaie ouverte, la Conférence des Évêques du Togo (CET) a lancé, le 30 juin 2025, un appel vibrant, un véritable tocsin moral qui résonne au-delà des clochers. Au lendemain des journées funestes des 26, 27 et 28 juin, marquées par une répression d’une sauvagerie rare, les prélats togolais, conduits par Mgr Benoît Alowonou, évêque de Kpalimé, ont dressé en effet un réquisitoire implacable contre la violence d’État. Leur message, issu de la 139ᵉ session ordinaire, n’est pas un simple communiqué : c’est une torche allumée dans l’obscurité d’un pays asphyxié par la peur, un défi lancé à la conscience d’une nation au bord du précipice.
Une tragédie togolaise sous les gaz lacrymogènes
Les 26, 27 et 28 juin 2025, Lomé est devenue le théâtre d’un drame shakespearien. Des jeunes, portés par une colère légitime contre une gouvernance jugée autoritaire et des réformes constitutionnelles controversées, ont bravé les interdictions pour investir les rues. Leur cri : la fin de la « monarchisation » du pouvoir incarnée par Faure Gnassingbé, au pouvoir depuis 2005. Mais la réponse des autorités fut un déluge de brutalité : gaz lacrymogènes tirés jusque dans l’enceinte de l’hôpital de Bè, miliciens armés circulant dans des pick-up sans plaques, des arrestations arbitraires, et, selon des organisations de la société civile, au moins sept morts, dont cinq corps retrouvés dans la lagune de Lomé. « Un usage aussi disproportionné de la force pour réprimer une manifestation, fût-elle illégale, est tout simplement inadmissible », ont tonné les évêques, dans une déclaration qui refuse le silence complice.
Ce n’est pas la première fois que la CET hausse le ton. Dès le 26 mai 2025, les évêques avaient alerté sur la « gravité du climat sociopolitique actuel », appelant à des prières pour la justice et la paix. Leur message du 30 juin va plus loin : il dénonce une « spirale de violence intolérable » et pointe du doigt un pouvoir qui, selon eux, a choisi « la matraque et le silence » plutôt que le dialogue. « Ces violences, d’où qu’elles viennent, sont inacceptables. » « Rien ne peut les justifier », assène Mgr Alowonou, dont les mots, ciselés dans la douleur, vibrent d’une indignation prophétique.
Les évêques appellent à la prise de conscience collective
Loin de se contenter d’une condamnation, les évêques appellent à un « sursaut de conscience nationale ». Ils exhortent les Togolais à rejeter la violence, qu’elle vienne des forces de l’ordre ou des manifestants, et à s’engager dans une résistance éthique, ancrée dans les valeurs de justice et de dignité. « Que le Seigneur éveille les autorités, ouvre les oreilles de leurs cœurs », avaient déjà imploré trois prêtres catholiques avant les manifestations, dans un message intitulé « Tenons en éveil la mémoire du Seigneur ». La CET, dans cette lignée, invite à une mobilisation spirituelle et civique, une désobéissance pacifique face à ce qu’elle perçoit comme une dérive autoritaire.
Le contexte est explosif. Depuis l’adoption d’une nouvelle constitution en avril 2024, qui concentre le pouvoir entre les mains du président du Conseil des ministres – poste occupé par Faure Gnassingbé depuis mai 2025 –, les tensions n’ont cessé de croître. Les manifestations de juin, déclenchées initialement par l’arrestation de l’artiste engagé Aamron, ont été amplifiées par des appels sur les réseaux sociaux, notamment via TikTok, où des vidéos de répression ont circulé, suscitant l’indignation internationale. Des organisations comme Amnesty International et le Front « Touche Pas À Ma Constitution » ont dénoncé une « répression systématique » et des « crimes imprescriptibles », accusant le gouvernement de recourir à des miliciens pour masquer sa responsabilité.
Une église au cœur du tumulte
L’intervention de la CET n’est pas anodine. Dans un pays où l’Église catholique joue un rôle moral et social majeur, son positionnement est un acte de courage. En 2024, elle avait déjà démenti des rumeurs sur la suspension des quêtes, prouvant sa vigilance face à la désinformation. Aujourd’hui, elle se place en rempart contre l’injustice, rejoignant ainsi les voix des partis d’opposition (ADDI, DMP, ANC) et des organisations de la société civile qui appellent à une enquête sur les exactions. Les évêques, en écho à ces cris, demandent des comptes : « Qui répondra des corps dans la lagune ? » «Qui rendra justice aux familles endeuillées ? »
Le gouvernement, de son côté, rejette les accusations. Dans un communiqué du 29 juin 2025, il dénonce une « campagne de désinformation orchestrée depuis l’étranger » et annonce des poursuites judiciaires internationales contre les instigateurs présumés. Mais pour la CET, ces justifications sonnent creuses face à la réalité des corps brisés et des libertés bâillonnées. « Le peuple togolais mérite mieux que le silence, la peur et la violence », clament les évêques, reprenant presque mot pour mot l’appel des organisations de la société civile.
Un horizon incertain, une espérance têtue
Alors que Lomé panse ses plaies, le message des évêques résonne comme un défi : celui de réinventer un Togo où la justice prévaut sur la répression, où la voix du peuple n’est pas étouffée par les matraques. Les manifestations des 26, 27 et 28 juin, loin d’être un épiphénomène, marquent un tournant dans la lutte togolaise. La CET, en s’élevant contre la barbarie, pose une question cruciale : le Togo saura-t-il écouter ses bergers avant que la nuit ne s’éternise ?
Dans ce bras de fer entre un peuple en quête de liberté et un pouvoir arc-bouté sur ses privilèges, les évêques ont choisi leur camp : celui de la dignité humaine. Leur cri, porté par la foi et l’indignation, est un appel à l’éveil. Reste à savoir si le Togo, meurtri, mais debout, saura y répondre.