Togo : l’origine du peuple Ewé, le prof Nicoué Gayibor fait un cadrage de l’histoire

La reconstitution du passé des peuples est un signe de leur identité culturelle et de leur dynamisme. On ne saurait en effet bien connaître un peuple que si cette connaissance a une profondeur historique.

Certaines traditions font ainsi remonter l’origine des Ewé au site biblique de Babel, voire à Babylone en Mésopotamie, d’où ils auraient migré vers l’Égypte, et de là, vers Khartoum, puis Oyo, Kétu, Tado et enfin Notse. Il convient de souligner ici que ces traditions sont le résultat d’une acculturation précoce née des contacts permanents entre les Ewé de l’ouest (au Ghana actuel) et les pasteurs allemands de la Mission de Brême dès la seconde moitié du XIXe siècle. Il a ainsi paru plus valorisant à ces premiers chrétiens – et, à leur suite, à bien des nationalistes ewe des années 1950- de tirer les origines des Ewe des sites bibliques, à l’instar du peuple élu de la Bible, les Israélites. Cette tendance, qui n’a aucun fondement historique ni scientifique, est actuellement reprise par un certain nombre de chefs, particulièrement ceux qui sont affiliés à l’EWETO.

L’histoire de l’aire culturelle ajatado (vaste espace géoculturel s’étendant sur les cours inférieurs de la Volta, au Ghana, au Yéwa au Nigéria), dont font partie intégrante les Ewe, nous est connue grâce aux études pluridisciplinaires principalement dans le domaine des sciences humaines : archéologie, histoire, anthropologie, linguistique. De ces différentes études, rappelons les évidences suivantes.

Des recherches des antiquisants et des archéologues de l’Afrique de l’ouest, il ressort, à propos de l’origine des populations du golfe du Bénin, que la naissance de l’agriculture dans la région de la confluence du Niger et de la Bénoué (région de Nok sur le plateau Bauchi) autour du second millénaire avant J-C, a été un facteur déterminant ayant provoqué une explosion démographique qui a alors poussé les populations, à partir de cette région, à se disperser dans toutes les directions. Ce mouvement, qui s’accompagna de grands défrichements liés aux besoins agricoles (avec la culture de l’igname, nourriture de base dans la région), sera, entre autres facteurs, à l’origine de la disparition de la forêt primaire remplacée par la savane herbeuse ou arborée de la côte du Togo et du Bénin, connue sous le nom de « Savane du Bénin ». Les traditions yoruba confortent cette thèse en présentant Ilè-Ifè comme le point de départ de la création du monde, à partir duquel les différents groupes yoruba s’égaillèrent dans toutes les directions, y compris la région côtière où vivent de nos jours les populations ajatado.

Les populations pré-yoruba qui vivaient dans cette région assimilèrent ces nouveaux-venus dont ils adoptèrent le système politique et religieux. C’est ainsi qu’un groupe de yoruba conduit par l’ancêtre Togbui-Agni atteignit le village d’Azanmè, sur les bords du Mono. Les habitants du village – les autochtones Alu et les immigrés Aza – accueillirent le groupe yoruba dont le chef prit le pouvoir. Azanmè devint Tado, berceau des Aja, siège d’un royaume qui se développa dans cette région entre le XIIè et le XIVè siècle. Des conflits politiques liés aux règles de dévolution du pouvoir et à l’exercice de l’autorité royale par le roi-prêtre, Anyigbafio, éclatèrent. Le pontifie était doté de pouvoirs magico-religieux à l’instar des rois-prêtres yoruba. Le contre-coup de cette puissance, très lourd, consigne le souverain dans un enfermement total dans un palais, l’éloignant ainsi de la population et des affaires du royaume, gérées par les ministres-conseillers, les Tashinon, les vrais maîtres du royaume, auxquels incombaient non seulement l’administration du royaume, mais également le choix des nouveaux souverains, un choix qu’ils monnayaient en intriguant à qui mieux-mieux.

Cette situation délétère fut à l’origine de bien des migrations, notamment celle des Aladahonu vers Davie-Alada, et celle des Ewe vers Notse. Mais avant ces deux groupes, d’autres les avaient précédés vers la côte en empruntant la voie fluviale du Mono (Les Xwla et les Xwéda), vers l’est (les Wéménu et Ayizo), vers l’Ouest (les Néglékpé de la région d’Afanyan). D’Alada, deux groupes émigrèrent au XVIè siècle, l’un vers le plateau d’Agbomé en pays ayizo où naquit le royaume fon autour d’Agbomé, et l’autre vers l’estuaire du Wémé où le royaume gun de Hogbonu vit le jour.

Le groupe ewe prit naissance à Notse. En effet, sont Ewe tous les groupes de population qui retracent leurs origines à partir de Notse, et dont les ancêtres ont quitté cette cité durant (ou après) le règne d’Agokoli à la fin du XVIè siècle. L’histoire des Ewe commence par conséquent à Notse. Parler d’Oyo ou de Kétu comme lieux d’origine des Ewe est incorrect. En effet, il faut le répéter avec force, à Oyo et Kétu, n’ont vécu que des Yoruba -ou des groupes présumés tels-, dont les ancêtres furent à l’origine de la fondation de Tado. L’histoire des origines des Yoruba devint celle des populations issues de la vie en symbiose de tous les groupes ayant vécu et migré de Tado, c’est-à- dire les Ajatado, dont font partie les Ewe. Il en est de même des traditions qui citent les différents sites bibliques comme lieux d’origine des Ewe. Elles n’ont aucun fondement historique et encore moins scientifique. Dans l’avenir, les savants découvriront peut-être des preuves génétiques rattachant les Ewe aux populations des sites bibliques citées. Mais, dans l’état actuel des recherches, aucune preuve ne vient corroborer de telles assertions. Les thèses de Cheikh Anta Diop, cheval de bataille de bien des Africains, méritent d’être approfondies avant de s’imposer à tous.

Professeur Nicoué GAYIBOR,
Président de l’Association des Historiens et des Archéologues du Togo (AHAT)

Source : www.icilome.com